Cinquante ans après avoir gravé son nom dans l’histoire du cinéma en décrochant la Palme d’Or en 1975, Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina, premier et unique film africain à recevoir cette distinction, fait un retour triomphal au Festival de Cannes 2025 (13–24 mai) dans le cadre du prestigieux programme Cannes Classics. Restauré en 4K, ce chef-d’œuvre du cinéma algérien, projeté lors de la 78e édition du festival, rend hommage à une œuvre pionnière, à son créateur, et à la mémoire collective d’un peuple en lutte pour sa liberté. Cet événement célèbre non seulement un film, mais aussi l’impact durable du cinéma africain sur la scène mondiale.
Une restauration méticuleuse pour un trésor retrouvé
La projection à Cannes Classics 2025 met en lumière une restauration d’exception, entreprise pour redonner vie à cette fresque historique. Ce projet ambitieux a été piloté par le World Cinema Project, une initiative de la Film Foundation créée par Martin Scorsese, en collaboration avec la Cinémathèque de Bologne. Les travaux, réalisés par les laboratoires L’Image Retrouvée à Paris et L’Immagine Ritrovata à Bologne, ont bénéficié du soutien financier de la Hobson/Lucas Family Foundation, dans le cadre du programme African Film Heritage, porté conjointement par la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) et l’UNESCO.
Supervisée par Mohammed Lakhdar-Hamina lui-même, la restauration a permis de retrouver la version originale primée en 1975. Ce processus complexe s’est appuyé sur les négatifs image et son d’époque, des plans coupés, un interpositif 35 mm, ainsi qu’une copie fournie par le cinéaste. Le résultat est une œuvre visuellement sublimée, fidèle à sa puissance dramatique originelle, qui conserve intact le souffle épique et l’émotion brute qui avaient conquis le jury cannois il y a un demi-siècle. Cette restauration ne se contente pas de préserver un film ; elle ravive un patrimoine cinématographique africain, souvent menacé par le temps et le manque de moyens.
Une épopée algérienne au rayonnement universel
Chronique des années de braise est une fresque monumentale divisée en six chapitres, retraçant le parcours de l’Algérie des années 1930 jusqu’au déclenchement de la guerre de libération, le 1er novembre 1954. À travers le destin d’Ahmed, un berger humble devenu figure héroïque, le film explore les ravages de la colonisation, la misère des campagnes frappées par la sécheresse, et l’éveil progressif d’un peuple vers la révolte. Lakhdar-Hamina, avec une mise en scène ample et profondément humaniste, évite le manichéisme pour peindre un tableau nuancé de la lutte algérienne, où la brutalité coloniale s’oppose à la résilience d’une communauté unie.
Le personnage de Miloud, un fou prophétique incarné par le cinéaste lui-même, agit comme la mémoire vive du récit, transmettant l’héritage du combat à Smaïl, le fils d’Ahmed. Cette transmission culmine dans une image finale bouleversante : un enfant courant vers l’horizon d’un pays libéré, symbole d’espoir et de renouveau. Ce mélange de chronique sociale et de fresque historique confère au film une portée universelle, résonnant bien au-delà des frontières algériennes comme un hymne à la dignité et à la liberté.

Un tournage ancré dans l’authenticité algérienne
Le tournage de Chronique des années de braise a été une aventure à l’échelle de son ambition. Réalisé dans des conditions exigeantes, le film a été tourné dans des lieux emblématiques de l’Algérie, notamment à Laghouat, Sour El Ghozlane et Ghardaïa. Ces décors naturels, imprégnés d’histoire, confèrent une authenticité saisissante aux scènes, ancrant le récit dans la réalité du terroir algérien. La direction de la photographie, signée par l’Italien Marcello Gatti, magnifie les paysages arides et les visages marqués des protagonistes, tandis que la bande originale de Philippe Arthuys, aux accents lyriques, amplifie l’ampleur épique du film.
Le casting réunit des figures majeures du cinéma algérien, telles que Sid Ali Kouiret, Keltoum, et Larbi Zekkal, dont les performances incarnent avec force l’âme d’un peuple en lutte. Lakhdar-Hamina, en endossant le rôle de Miloud, apporte une dimension personnelle à l’œuvre, renforçant son engagement artistique et politique. Cet alliage de talents et de moyens a fait du film une prouesse technique et artistique, saluée dès sa sortie pour sa vision audacieuse.
Un jalon pour le cinéma africain
En remportant la Palme d’Or en 1975, Chronique des années de braise a marqué un tournant pour le cinéma africain. Cette consécration, la première pour un film du continent, a démontré que les récits africains pouvaient rivaliser avec les grandes productions internationales et trouver un écho universel. Le triomphe de Lakhdar-Hamina a ouvert la voie à une nouvelle génération de cinéastes, de Sembène Ousmane à Souleymane Cissé, encourageant l’exploration de récits ancrés dans les réalités et les patrimoines du continent. En mettant en lumière la richesse culturelle et historique de l’Algérie, le film a également contribué à décoloniser les imaginaires cinématographiques, offrant une perspective authentique sur une histoire trop souvent racontée par d’autres.
L’impact de cette Palme d’Or s’est étendu au-delà des salles obscures. En 1975, la victoire de Chronique a été perçue comme un acte de reconnaissance pour les luttes anticoloniales et un moment de fierté pour l’Algérie, alors jeune nation indépendante. Elle a aussi renforcé la légitimité du cinéma algérien, qui, dans les années 1960 et 1970, s’imposait comme un outil de construction nationale et de mémoire collective.
Une reconnaissance renouvelée et un patrimoine à préserver
La sélection de Chronique des années de braise à Cannes Classics 2025 est bien plus qu’un hommage nostalgique. Elle consacre la place du film dans le panthéon du cinéma mondial et rappelle l’importance du cinéma algérien dans l’histoire du septième art. En tant que seul film africain à avoir remporté la Palme d’Or à ce jour, il reste une référence incontournable pour les cinéastes et les spectateurs du continent et d’ailleurs.
La distribution de la version restaurée par Les Acacias en France permettra à un nouveau public de découvrir ou redécouvrir cette œuvre, trop longtemps absente des écrans en raison de la fragilité des supports d’époque. Cet événement ravive également un débat crucial : la nécessité de préserver le patrimoine cinématographique africain. Les initiatives comme celles de la FEPACI, de l’UNESCO et du World Cinema Project soulignent l’urgence de sauvegarder ces œuvres, souvent menacées par la détérioration des pellicules et le manque de moyens pour leur conservation.
Un cinéma vivant, cinquante ans plus tard
En 1975, la Palme d’Or décernée à Chronique des années de braise était une victoire historique, saluant un film qui alliait audace artistique et engagement politique. En 2025, sa renaissance à Cannes témoigne de sa vitalité intacte. Plus qu’une commémoration, cette projection est une transmission : celle d’un regard lucide sur l’histoire, d’un combat pour la liberté, et d’un cinéma capable de porter la voix d’un peuple. Chronique des années de braise nous rappelle que le cinéma peut être à la fois une œuvre d’art, un miroir de son temps, et un ferment de conscience, continuant d’inspirer les générations actuelles et futures.