Peut-on raviver la mémoire d’une ville à travers une scène de théâtre ? C’est le pari relevé par Sadak Trabelsi, metteur en scène et comédien, avec sa création « Toxic Paradise » (El Bakhara). Présentée mardi au Festival international de théâtre de Béjaïa, cette pièce produite par le Théâtre de l’Opéra de Tunis a marqué le public par son engagement et son ancrage dans une problématique brûlante d’actualité : la pollution environnementale qui asphyxie la ville de Gabès, autrefois paradis côtier, aujourd’hui cité fantomatique.
Dès les premières minutes, la scénographie frappe par sa précision et sa puissance évocatrice. Un décor sombre dominé par un mur aux portails mouvants structure l’espace scénique. Les ouvertures soudaines laissent apparaître tour à tour les cinq comédiens, comme surgissant du brouillard toxique qui recouvre la ville. Cette brume, appelée localement « El Bakhara », est recréée sur scène pour traduire l’oppression quotidienne vécue par les habitants, privés d’air pur. Le son métallique incessant évoquant les usines de phosphates rajoute au sentiment d’oppression
La mise en scène installe une atmosphère lourde et pesante, rappelant sans détour la réalité du Golfe de Gabès où la pollution industrielle a profondément altéré l’environnement et la qualité de vie. L’objectif est clair : faire ressentir au public ce que signifie respirer difficilement dans sa propre ville.
Le récit suit les pas d’une famille ordinaire : un couple en quête d’enfant, un père sénile, un frère turbulent… Des relations fragiles qui se fissurent et se heurtent dans un contexte social et écologique délabré. La pollution devient ici personnage à part entière, transformant les rapports humains et amplifiant les tensions.
À travers des liens complexes et ambigus entre les personnages, la pièce dévoile comment un désastre environnemental peut empoisonner une société entière. Loin des slogans, elle donne chair à une réalité tragique, touchant l’assistance et la poussant à réfléchir aux conséquences irréversibles sur les écosystèmes et sur les vies humaines.
Avec « Toxic Paradise », qui a à son actif plusieurs prix Sadak Trabelsi transforme la scène théâtrale en espace de témoignage et de résistance. En évoquant la tragédie écologique de Gabès, il offre au théâtre un rôle essentiel : réveiller les consciences et remettre sur le devant de la scène les luttes oubliées.