Clore un festival, c’est toujours choisir un dernier souffle, une dernière image, un dernier mot adressé au monde. Cette année, le Festival international du film d’Alger (AIFF) a choisi de conclure sa 12ᵉ édition avec La Voix de Hind Rajab, le nouveau film-choc de la cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania. Un choix qui n’a rien d’anodin : c’est un acte de conscience. Un geste de solidarité. Et une manière de dire que l’Algérie, comme l’a toujours fait, continue de se tenir du côté des peuples écrasés.
Car La Voix de Hind Rajab raconte l’histoire d’une petite fille palestinienne de Ghaza, tuée le 29 janvier 2024 par l’armée israélienne. Hind avait cinq ou six ans — l’âge où l’on dessine des maisons, pas où on apprend à survivre sous les bombardements.
Une voix minuscule face à une machine de guerre
Le film revient sur ces heures terribles. La famille de Hind tente de fuir le quartier de Tel al-Hawa tandis que les troupes israéliennes avancent. Une rafale. La voiture criblée de balles. Six membres de sa famille tués sur le coup. Hind, blessée, reste coincée parmi les corps. Elle appelle le Croissant-Rouge palestinien. Pendant près de trois heures, sa voix tremblante résonne dans les écouteurs des secouristes :
« J’ai peur… venez me chercher. »
Ben Hania reprend ces enregistrements réels. Le film se déroule entièrement dans la salle d’opération du Croissant-Rouge, où des acteurs palestiniens incarnent les standardistes et médecins qui tentent désespérément d’obtenir l’autorisation de sauvetage auprès de l’armée israélienne. Une ambulance finit par partir. Elle sera elle aussi pulvérisée. Ses deux paramédicaux tués. Les corps de Hind, de sa famille et des secouristes ne seront retrouvés que dix jours plus tard.
Une mise en scène de l’injustice coloniale
Le film ne montre ni sang, ni cadavres. C’est pire : il montre l’attente. Le silence. Les procédures absurdes. L’autorisation qui ne vient jamais. Cette mécanique bureaucratique où un peuple ne peut même pas enterrer ses morts sans l’accord de son occupant.
Un système où Israël décide qui vivra, qui pourra être secouru, qui sera laissé à l’agonie dans une voiture criblée d’obus.
C’est là que le cinéma de Ben Hania devient politique : en enfermant le spectateur dans cette salle d’appels, elle lui fait ressentir le cœur même du système colonial — son arbitraire, son mépris, sa violence froide.
Les experts mandatés par l’ONU l’ont qualifié : la mort de Hind relève du crime de guerre.
À Alger, une douleur familière
Que ce film soit projeté à Alger a une portée symbolique profonde.
Ici, la mémoire du colonialisme n’est pas un chapitre d’histoire : c’est une cicatrice encore sensible. Les spectateurs du Théâtre National Algérien ont reconnu, dans le sort de Hind, leur propre passé volé. Leurs propres familles brisées. Leur propre enfance confisquée. Ghaza n’est pas loin d’Alger. Elle en est l’écho.
Un film comme un acte de résistance
La Voix de Hind Rajab n’est pas seulement un film. C’est un geste. Un refus de laisser cette petite voix sombrer dans l’oubli. Un refus de laisser l’enfance palestinienne devenir une statistique.
Face à l’effacement, Kaouther Ben Hania crée une archive sensible. Face à la mort, elle redonne souffle. Face au silence, elle fait entendre une voix qui continue de nous appeler.
Dans la salle du TNA, lorsque les lumières se sont éteintes à la fin de la projection, une seule question flottait, lourde, brûlante : Un film peut-il changer le monde ? Peut-être pas. Mais certains films changent la manière dont nous regardons le monde.
Et ceux-là, souvent, sont indispensables.










