Soixante-deux ans après l’indépendance, l’Algérie s’apprête à graver dans le marbre de sa législation ce qu’elle annonçait déjà depuis des décennies : le colonialisme n’était pas une « œuvre civilisatrice », mais un « crime d’État ». En examinant, un samedi, un projet de loi de criminalisation sans précédent présenté par le Président de l’APN en personne, l’Assemblée populaire nationale (APN) ne se contente pas de faire de l’histoire ; elle pose les jalons d’une rupture mémorielle et juridique totale avec l’ancien colonisateur.
Le droit comme arme de souveraineté
Ce n’est plus seulement une affaire de discours ou de commémorations. Le rapport de la Commission de la défense nationale, dont la rédaction détient une copie, marque un tournant radical. En qualifiant, via l’article 3, le système colonial de « crime d’État », le législateur algérien déplace le curseur. On sort du débat feutré entre historiens pour entrer dans l’arène du droit pénal international.
L’objectif est clair : rendre les crimes commis entre 1830 et 1962 imprescriptibles. Massacres de civils, torture systématique, essais nucléaires au Sahara, spoliation des archives… La liste dressée par l’article 5 ressemble à un acte d’accusation global contre plus d’un siècle d’occupation.
La responsabilité de Paris mise au défi
Le texte ne se contente pas de dénoncer ; il exige. En engageant la « responsabilité juridique de l’État français » (Art. 8), Alger place Paris au pied du mur. Ce n’est plus une demande de « gestes » symboliques, mais une exigence de réparations matérielles et morales : restitution intégrale des archives, dépollution des sites radioactifs, excuses publiques et rapatriement des restes des résistants.
Verrouiller la mémoire nationale
L’un des aspects les plus commentés de ce projet reste la « criminalisation de l’apologie du colonialisme ». Le texte prévoit jusqu’à dix ans de prison pour quiconque tenterait de glorifier ou de justifier les crimes de l’ère coloniale, ou d’en nier l’horreur. Cette disposition vise directement à contrer toute velléité de révisionnisme historique, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur.
Si la Commission insiste sur le fait que la loi vise « le système » et non « le peuple français », la portée politique est immense. Ce projet de loi est un acte de souveraineté mémorielle qui risque de tendre un peu plus les fils déjà fragiles de la relation Alger-Paris.
Alors que la France peine encore à solder son passif algérien, Alger semble avoir décidé que la « réconciliation » ne se ferait plus selon les termes de l’autre, mais selon la vérité du droit. Un débat historique s’est ouvert ce matin à l’APN en présence des membres du Gouvernement; il pourrait bien redéfinir pour toujours les conditions du dialogue entre les deux rives de la Méditerranée.
Boughali : « La criminalisation du colonialisme est la cause de tout un peuple »
Présentant le projet de loi sur la criminalisation de la colonisation française, le président de l’Assemblée populaire nationale, Ibrahim Boughali, a affirmé qu’il ne s’agit ni d’un geste symbolique ni d’une procédure parlementaire ordinaire, mais d’« un acte de souveraineté par excellence et un positionnement moral et politique clair ».
Selon lui, ce texte dépasse le cadre législatif pour devenir « un moment de conscience nationale et de fidélité à la mémoire collective », rappelant que les crimes coloniaux — massacres, spoliations, déportations, camps de regroupement et essais nucléaires — constituent des crimes contre l’humanité imprescriptibles.
Le président de l’APN a insisté sur le fait que la loi « ne vise aucun peuple et ne cherche ni vengeance ni haine », mais repose sur un principe universel : « les crimes contre l’humanité ne s’effacent pas avec le temps et ne se ferment pas par le silence ».
À travers ce projet, a-t-il souligné, l’Algérie adresse « un message clair à l’intérieur comme à l’extérieur : la mémoire nationale n’est ni négociable ni effaçable », et aucune réconciliation durable ne peut se construire sans reconnaissance du passé colonial et de ses responsabilités.










