Pour l’avant-dernière soirée du Festival international du théâtre de Béjaïa, le public du théâtre Abdelmalek Bouguermouh a découvert une œuvre poignante venue de Côte d’Ivoire : « Saardjie, la Vénus oblitérée ». Cette pièce, présentée par la compagnie ivoirienne Gue-zo, est écrite et mise en scène par Damey Maho. Elle retrace avec intensité le destin tragique de Saartjie Baartman, une femme sud-africaine réduite en esclavage et exhibée comme curiosité en Europe au début du XIXe siècle.
À travers une mise en scène sobre mais d’une intensité redoutable, Damey Maho fait ressurgir du silence la voix d’une femme longtemps réduite à un corps, à une silhouette, à une attraction exotique. Le théâtre devient ici un lieu de mémoire, un espace de justice symbolique, un cri de révolte.
Sur scène, deux jeunes comédiens portent cette charge historique avec une justesse remarquable. Amya Adjo Marianne Edoxie incarne Saardjie avec une puissance bouleversante. Sa gestuelle, son regard, ses cris et ses silences même, traduisent une douleur contenue, une résistance intérieure. À ses côtés, Konan Kouassi Metuschela, dans le rôle d’un médecin militaire suprémaciste, donne la réplique avec froideur et autorité, incarnant la violence du regard colonial.

Le contraste entre les deux personnages est saisissant, et c’est précisément dans cette tension que le spectacle trouve toute sa force. Le malaise s’installe dès les premières scènes : il est voulu, assumé, travaillé. Il oblige le spectateur à regarder en face l’inhumanité d’un système où l’on exhibait des êtres humains, où l’on étudiait des corps comme des objets, où l’on niait toute humanité à celles et ceux qui ne correspondaient pas aux normes européennes.
Les scènes retraçant le traitement humiliant et dégradant infligé à Saartjie Baartman sont d’une grande intensité. Elles ne cherchent pas à choquer gratuitement, mais à éveiller les consciences.
À travers une mise en scène à la fois incisive et sensitive, Damey Maho transforme le plateau en un espace de mémoire et de révolte. Saardjie, la Vénus oblitérée interroge sans détour le regard colonial, la marchandisation du corps féminin et la négation de l’humanité.
Entre drame historique et cri contemporain, cette œuvre puissante incarne la lutte pour la dignité, la justice et contre l’oubli. Un moment fort du festival, salué par un public ému et profondément touché.