Ali Aissaoui est parmi les organisateurs du 9ème Printemps théâtral de Constantine. Il est membre du Comité des activités culturelles de la ville de Constantine que préside le comédien Hakim Dekkar. Réalisateur de télévision, Ali Aissaoui s’est spécialisé dans les émissions sur le théâtre depuis le milieu des années 1980.
24H Algérie: Ali Aissaoui , quel bilan dressez-vous du 9ème Printemps théâtral de Constantine qui s’est déroulé du 27 mars au 3 avril 2021 après quatre ans de rupture?
Ali Aissaoui: Cette neuvième édition du Printemps théâtral a été organisée par des artistes avec l’appui des autorités locales. Des autorités qui ont fait confiance aux artistes. Je rappelle que le Printemps théâtral de Constantine, qui a été lancé en 1995, était maghrébin. Nous aurions voulu que la manifestation soit régulière, mais cela ne dépendait pas de nous mais d’autres facteurs, comme les finances. Par le passé, nous avons bien constaté que les autorités n’accordaient pas de l’importance à l’événement.
C’est pour cette raison que le printemps théâtral ne s’est pas tenu régulièrement. Sa reprise cette année signifie que nous voulons qu’il se tienne chaque année ou chaque deux ans à partir de 2022. La venue des artistes et de la presse et la présence du public lors de cette 9ème édition nous encouragent à aller de l’avant et à réfléchir à la prochaine édition. Nous ne voulons pas de rupture comme ce fut le cas par le passé.
Vous voulez être sélectifs dans le choix des pièces à présenter au public
Oui. Nous voulons dans le futur que les pièces sélectionnées soient les meilleures produites en Algérie. Ce n’était pas possible cette année en raison de la pandémie de Covid-19 et la faiblesse de la production. Notre but est que le Printemps théâtral devienne une tradition à Constantine avec la contribution de tous y compris les responsables. Cela fait de la promotion pour la ville. Les participants au Printemps théâtral ont visité la ville, ses sites historiques et architecturaux, son musée, ont partagé leurs souvenirs sur les réseaux sociaux. Cela remplace 1000 discours sur la promotion touristique.
Vous avez suivi le mouvement théâtral depuis longtemps à travers les émissions de télévision. Quel regard portez-vous sur le théâtre aujourd’hui en Algérie?
Le théâtre n’a pas accompagné le changement de la société algérienne. Un changement sur tous les plans : social, économique, culturel…En plus de son rôle culturel et divertissant, le théâtre porte en lui des messages et des signes qui vont vers la raison et le cœur. Pendant le confinement sanitaire, j’aurai aimé que les auteurs, les scénographes, les chorégraphes ou les metteurs en scène se mettaient en résidence d’écriture et de création.
Profiter du temps d’arrêt pour créer…
Voilà. Oui, j’aurai aimé qu’on vienne avec des travaux artistiques préparés durant le confinement, après l’ouverture des espaces culturels et les théâtres au public, pour les réaliser. Malheureusement, cela n’a pas été le cas pour la plupart des créateurs.
Vous évoquez souvent le dynamisme du mouvement théâtral en Algérie durant les années 1980/1990
Oui, ce mouvement englobait toute l’Algérie. La production était bien là. Je suis ravi que le Festival national du théâtre professionnel d’Alger (FNTP) ait été préservé pendant quatorze ans. C’est un acquis considérable. Mais, nous constatons que la production s’est affaiblie par rapport au passé. Dans certaines wilayas, des troupes de théâtre ont disparu parce qu’elles n’ont pas trouvé de moyens, d’espaces.
Cela dit, le théâtre s’appuie sur une équipe artistique dont le but est de produire, diffuser et animer son espace. Il ne faut pas attendre qu’il ait des soutiens financiers pour activer. Je me rappelle qu’il existait quatorze troupes à Constantine par le passé. Moi même, j’en avais deux. J’étais membre du GAC (Groupe d’action culturelle) de Constantine. Nous étions animés par une forte volonté, nous n’attendions pas qu’on nous donne de l’argent. On n’avait pas d’administration. Ce qui nous intéressait était de produire et de diffuser. Il est vrai que l’Algérie des années 1970/1980 n’est pas celle d’aujourd’hui. Même le public a changé.
Comment ?
Dans les années 1990, le public applaudissait au moment où il le fallait, suivait la réplique jusqu’au bout. Aujourd’hui, on réagit aux mots quelque peu déplacés dits sur scène. Il y a une certaine maturité des spectateurs qui a disparu. Et, il faut reconnaître que le large public a tourné le dos au théâtre. La scène ne répond pas à ses attentes. Il suffit de convaincre le public de se retourner et de bien le servir sur scène.
Nous avons constaté la soif du public lors du FNTP et du Printemps théâtral. Les spectacles ont été présentés à guichets fermés. Il faut applaudir cet engouement pour le théâtre. Et, il faut qu’il y ait une parfaite symbiose entre la scène et le public. Et vice-versa.
Rompre avec le théâtre de l’ambiguïté en somme
Oui, avec le théâtre de l’obscurité, le théâtre de la narration excessive sans vision de scène ou de conception artistique véritable. J’ai eu accès aux archives de la télévision sur des pièces produites dans les années 1970 comme “Le cercle de la craie caucasien” (d’après l’oeuvre de Bertolt Brecht), “L’homme aux sandales de caoutchouc” (d’après Kateb Yacine)…C’était des pièces avec une grande culture sur scène.
A l’époque, le comédien était distribué dans une dizaine de pièces en une année. Le metteur en scène Allal El Mouhib, par exemple, discutait avec ses comédiens sur les personnages et les invitait à faire des lectures en lien avec eux (profondeur historique). Les costumiers veillaient à ce que les comédiens soient bien habillés avant de passer sur scène. Nous avons perdu ces valeurs.
Faut-il alors insister sur la formation aux arts dramatiques pour les récupérer?
Ce que je regrette est la mise à la retraite de comédiens et de metteurs en scène dans les théâtres sans assurer une relève ou un encadrement. Comment voulez-vous qu’on transmette les bonnes valeurs si l’on crée une rupture entre les générations?
Tous les comédiens du théâtre populaire de Constantine sont partis sur la pointe des pieds. On aurait pu en garder deux ou trois pour encadrer les jeunes comédiens. Nous avons de bons comédiens, metteurs en scène, scénographes mais chacun est dans son coin. Quand Ahmed Rezzak met en scène une pièce qui plaît au public, cela ne veut pas dire que le théâtre algérien se porte bien. C’est une action ponctuelle individuelle qui ne s’inscrit pas dans un mouvement théâtral.
Pour avoir ce mouvement, il faut qu’il ait des bases solides. Dans les années précédentes, le théâtre amateur a réussi à s’imposer sans moyens. Il arrivait à terminer la saison avec 400 à 500 représentations. Aujourd’hui, on monte une pièce, qui coûte cher, pour qu’elle soit présentée une vingtaine de fois, puis classée après. L’acte théâtral fonctionne avec la vocation et la volonté du comédien. Il veut donner du plaisir à son public, laissez-le s’exprimer.
Vous plaidez pour l’idée imagée au théâtre. Pourquoi?
C’est ce que j’ai constaté en Belgique. Aujourd’hui, la lumière joue un grand rôle. Idem pour la fausse improvisation. Les gens sont aujourd’hui connectés, regardent ce qui se passe ailleurs. Certains peuvent créer de nouvelles atmosphères dans le théâtre qui cadrent avec le contexte actuel et qui vont dans le sens de l’évolution de notre société. Il faut aller dans ce sens.
A travers l’image, vous avez beaucoup suivi et documenté le théâtre algérien. Avez-vous des projets de documentaires?
Je souhaite que tous les théâtres régionaux ou les compagnies récupèrent la matière qui est au niveau de la télévision nationale. Au niveau de l’ex-RTA, j’ai réalisé plus de 1200 productions sur le théâtre.
J’ai suivi les différents festivals depuis 1985, à Alger, Annaba, Oran et Constantine. J’ai développé 78 thèmes comme le théâtre amateur, la fonction du théâtre, la femme comédienne…dans la série “Fad’at al masrah” (les espaces du théâtre).
L’émission était élaborée par un collectif issu du théâtre comme Hassan Boubrioua, Chabane Zerouk, Hakim Dekkar et Mourad Messahel…Nous réfléchissions ensemble aux thématiques à aborder lors de l’émission. Parfois, Abdelkader Alloula, Ould Abderrahmane Kaki et Djamel Bensaber apportaient également leur contribution.
C’était comme une famille. Nous faisions des lectures collectives pas uniquement de pièces mais aussi de livres. Tayeb Dehimi, ici à Constantine, a organisé, au début des années 2000, des lectures sur les formes artistiques utilisées dans le théâtre algérien.
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