Le réalisateur italien Nicola Zambelli : “Sarura est un acte de résistance cinématographique en faveur de la Palestine”

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Entretien avec le réalisateur italien Nicola Zambelli : « Sarura, un acte de résistance cinématographique en faveur de la Palestine
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Nicola Zambelli a remporté la gazelle d’or avec son film documentaire, Sarura : The future is an unknown place”, projeté dans le cadre du Festival International du Film Méditerranéen de Annaba(24-30 avril 2024). Ce film est un récit poignant de la résistance non-violente des villageois palestiniens d’Al-Tuwani face à l’occupation israélienne. Le film met en lumière les luttes et la résilience de cette communauté de bergers, en particulier des jeunes, face aux harcèlements constants, à la violence et aux restrictions. Dans cet entretien avec 24h Algérie, le réalisateur parle de son film et de l’importance de parler sans relâche de la Palestine.

24H Algérie : Votre film Sarura est un va-et-vient entre un premier documentaire que vous avez déjà réalisé et la situation actuelle ; pourquoi avez-vous fait ce documentaire?

Nicola Zambeli : Nous avons d’abord réalisé un premier film en 2010. A chaque fois, nous avons été invités par les activistes qui soutiennent les jeunes de ce village, notamment une ONG italienne appelée Operazione Colomba. C’est une ONG qui soutient principalement les populations qui résistent pacifiquement. Lors de notre première visite, nous avons pu constater de nos propres yeux la situation et les conditions de vie dans ces villages. C’est ainsi qu’est né notre premier film. Il était très important pour nous de tenir la promesse faite aux Palestiniens de revenir une autre fois et de suivre l’évolution des événements, afin de partager ce film avec le monde et de dévoiler la vérité sur ce qui se passe dans cette partie du monde. Plus d’une décennie plus tard, nous sommes revenus dans ce village. Notre principale motivation était de remettre sur le devant de la scène médiatique la question palestinienne, qui a été négligée et reléguée au second plan, pour ne pas dire étouffée. Nous sommes donc revenus pour dire que les Palestiniens sont toujours là, qu’ils résistent toujours pacifiquement, et pour raconter cette résistance d’un peuple qui se bat toujours pour faire valoir ses droits.

Sur un autre plan, il était également intéressant de constater que les jeunes, qui étaient dans notre premier film de petits enfants, sont désormais les protagonistes de la résistance pacifique. Le film s’est focalisé sur l’occupation d’une grotte abandonnée après la construction d’une colonie israélienne à proximité du village. Cette grotte, appelée Sarura, est ce qui reste d’un ancien village de bergers bédouins poussé à quitter leurs terres. Les jeunes l’ont occupée comme symbole de résistance contre l’occupation israélienne de leurs terres.

Pour moi, la grotte symbolise la force, la révolte, le refus du fait accompli, l’endurance et la résistance de ce peuple. Lors de notre première visite, les gens n’avaient que de grosses caméras pour filmer ce qui se passait chez eux. Aujourd’hui, ils disposent de caméras dans leurs téléphones et documentent au quotidien les confrontations avec les colons israéliens et l’armée d’occupation. Ce film a donc été réalisé à partir de cette documentation, celle des activistes internationaux ainsi que des archives de notre premier film. Il est très important pour moi car il symbolise la paix. Si nous parvenons à raconter une histoire ensemble, nous pourrons vivre et résister. Vous aurez remarqué que durant le film, les soldats israéliens tentaient d’imposer aux activistes de parler hébreu. Souvent, ils leur disaient : “Vous ne pouvez pas parler arabe ici, vous devez parler hébreu.” Les jeunes répliquaient en affirmant leur droit à s’exprimer dans la langue où ils étaient, le plus, éloquents. L’occupation c’est aussi cette volonté à dénaturer l’identité de l’autre, essayer de le changer jusqu’à effacer sa propre langue. Raconter la vie des gens est un pas vers la compréhension de l’autre, le vivre ensemble et l’espoir de la paix. Le silence qui entoure le quotidien des Palestiniens et leur oppression ne peut mener qu’à la violence et à la guerre.

Souvent, vous avez filmé des face-à-face où l’on voyait des soldats israéliens qui s’interposaient entre les colons et les jeunes de Sarura. N’avez-vous pas ressenti une fausse neutralité ?

Oui, évidemment, c’était une fausse neutralité. Il faut également souligner qu’il y a de grandes différences entre les soldats israéliens, ceux qui ont fait des études et ceux qui n’en ont pas fait. Ils viennent des quatre coins du monde et s’engagent dans l’armée israélienne, reflétant ainsi l’hétérogénéité de la population israélienne. Cette pseudo-neutralité n’existe plus aujourd’hui. Les choses ont beaucoup évolué depuis la réalisation du film. Les soldats ne cherchent même plus à simuler cette neutralité apparente. Devant ma caméra, ils faisaient semblant d’écouter les jeunes et de montrer un visage de fausse démocratie, mais moi je ne suis pas arabe, je suis européen. C’est pourquoi ils tentaient de cacher leur arrogance devant moi. Une précaution qu’ils ne prenaient pas avec mes amis palestiniens loin des grosses caméras.

Vous avez gardé le contact avec les activistes, quels sont les échos que vous avez eus de là-bas après le 07 octobre ?

La situation s’est sensiblement dégradée en Cisjordanie. Israël a mis en place énormément de checkpoints. J’ai eu l’occasion de parler à Copenhague au ministre de l’Éducation palestinien qui vit à Hébron. Il m’a dit que même lui ne peut pas sortir de la ville car tout déplacement est problématique à cause de ces points de contrôle israéliens qu’on trouve partout. Beaucoup de villes sont sous siège en réalité. C’est peut-être nouveau pour la population mondiale, qui ne voyait pas cela, mais pour les Palestiniens, c’est leur vie de tous les jours. Beaucoup ont perdu leur emploi à cause de cela, et l’argent envoyé par les organisations internationales passe par les banques israéliennes et ne leur parvient pas. Il y a beaucoup de difficultés dans la vie, notamment des problèmes économiques. Les bergers ne peuvent plus emmener leur cheptel dans les vergers. Dans le village d’Al-Tuwani, où il y a toujours beaucoup d’activistes, la situation est moins désastreuse. Mais nous savons tous que la situation n’est pas grave là-bas uniquement parce que le village est sous les yeux de la communauté internationale.

C’est important ce travail d’information?

Oui, c’est pourquoi, je dis et redis que c’est très, très important de continuer de parler de la Palestine, de continuer à filmer la vie des gens, de mettre en lumière ce qui s’y passe. C’est certain que les bombardements n’ont pas cessé à Ghaza, mais je suis sûr qu’Israël ne sera plus le même après tout cela. Mettre la réalité de l’occupation en permanence sous la lumière des médias des documentalistes et documenter ce qui se passe finira par faire bouger les lignes. En parler sans relâche, montrer aux gens que ce que subissent les Palestiniens est inhumain. Le génocide à Ghaza ne peut pas être accepté sous le fallacieux prétexte de la légitime défense. Il faut continuer à parler de ce qui se passe, expliquer aux gens de la classe moyenne les véritables causes et les enjeux de ce conflit, cela finira par changer les mentalités. Les gens se libèreront du discours imposé par les lobbies. Les gens ne se rendent peut-être pas compte de ce pouvoir, mais le monde est en train de bouger en faveur des Palestiniens. Ce qui se passe dans les campus américains est la grande preuve de ce changement radical. La solidarité avec Israël ne sera plus la même après cette guerre contre Ghaza. Je connais très bien les universités américaines, personne ne pouvait exprimer ouvertement son refus de ce que fait Israël. Les choses sont en train de changer positivement en faveur des Palestiniens.

Sarura, au-delà d’être un film dans un festival de cinéma, est un acte de solidarité et d’engagement, n’est-ce pas ?

C’est exactement cela pour moi. Il était primordial de trouver le moyen de faire parler de la Palestine, de ramener cette question sur le devant de la scène médiatique et d’occuper une place centrale. Quand nous avons terminé le tournage en 2021, Israël avait bombardé également Ghaza. Bien sûr, c’est sans commune mesure avec ce qui se passe aujourd’hui, mais nous avions la certitude que ça n’allait pas s’arrêter, que cette guerre contre les Palestiniens allait se poursuivre et que la violence serait cyclique. Ce film est un symbole de résistance globale. Il parle de jeunes, du futur, de leurs espoirs et de leurs craintes. Ce film est aujourd’hui, de mon point de vue, plus pertinent que jamais.

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