Loi sur la criminalisation du colonialisme : un vote historique pour la mémoire

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Loi sur la criminalisation du colonialisme : un vote historique pour la mémoire

Soixante-trois ans après avoir arraché sa souveraineté, l’Algérie ne se contente plus de revendications symboliques et déplace le débat sur le terrain du droit pénal international. À travers une loi d’initiative parlementaire votée par l’Assemblée populaire nationale (APN), le colonialisme français n’est plus seulement perçu comme une blessure historique, mais comme un crime d’État imprescriptible. Ce texte, qui s’appuie sur le préambule de la Constitution de 2020, marque une rupture mémorielle profonde en transformant le récit des années 1830 à 1962 en un acte d’accusation juridique structuré, visant à engager la responsabilité pleine et entière de la France.

L’ancrage historique de la loi repose sur une affirmation de souveraineté préexistante à l’invasion. La moi souligne que l’Algérie de 1830 n’était pas un territoire vacant, mais une entité politique organisée, capable de conclure des traités. De fait, l’occupation française est qualifiée de violation flagrante du droit international, ayant instauré un système méthodique de dépossession, d’oppression et d’exclusion. Le texte dresse un inventaire accablant des crimes commis durant 132 ans, citant les massacres collectifs de mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, l’extermination de tribus entières, les déplacements forcés, ainsi que la torture systématique et les violences sexuelles érigées en outils de domination.

Un point crucial du texte concerne les essais nucléaires et chimiques menés au Sahara. La loi les intègre directement dans la catégorie des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, pointant du doigt les conséquences sanitaires et environnementales qui continuent de frapper les populations locales. Au cœur de cette proposition, l’article 3 qualifie explicitement la colonisation de crime d’État, tandis que l’article 5 détaille les infractions constitutives de ce crime, allant de l’homicide intentionnel à l’enrôlement forcé dans l’armée coloniale. L’article 6 affirme l’imprescriptibilité de ces actes, garantissant que le passage du temps ne pourra éteindre les poursuites contre les auteurs ou la responsabilité de l’État colonisateur.

Sur le plan des réparations, la loi rompt avec la logique des simples gestes de réconciliation. Le chapitre III désigne l’État français comme le responsable juridique devant assumer les conséquences de son passé. Alger s’engage à mobiliser tous les moyens diplomatiques et juridiques pour obtenir des excuses formelles et une reconnaissance officielle. Les exigences sont concrètes : restitution des archives nationales, restitution des biens spoliés, rapatriement des restes des résistants encore conservés dans des musées français, et surtout, dépollution totale des sites nucléaires du Sahara. Cette approche transforme la mémoire en un levier de négociation bilatérale asymétrique, plaçant Paris face à ses obligations au regard des conventions internationales.

La loi comporte également un volet pénal rigoureux destiné à protéger la mémoire nationale contre le révisionnisme. L’article 16 criminalise toute glorification, justification ou apologie du colonialisme, que ce soit dans les médias, le milieu académique ou la sphère culturelle. Les sanctions prévues sont lourdes, pouvant atteindre dix ans d’emprisonnement et des amendes conséquentes. Ce verrouillage vise non seulement à contrer les discours extérieurs réhabilitant le passé colonial, mais aussi à prévenir toute atteinte interne aux symboles de la Révolution et à l’image des martyrs. Par ailleurs, l’article 7 introduit une notion de haute trahison pour toute collaboration avec l’administration coloniale passée, sanctuarisant ainsi la figure du moudjahid dans l’identité nationale.

Cette loi représente un acte de souveraineté mémorielle qui pourrait redéfinir durablement les relations entre Alger et Paris. En sortant du cadre feutré de la recherche historique pour entrer dans celui de la contrainte juridique, l’Algérie impose sa propre vérité du droit. Si le texte affirme ne pas viser le peuple français, il somme l’État français de solder définitivement son passif. Pour l’Algérie, la dignité des peuples et la justice pour les victimes du colonialisme ne sauraient faire l’objet d’une prescription ou d’une négociation à demi-mot. Ce tournant législatif grave dans le marbre que la réconciliation entre les deux rives de la Méditerranée passera nécessairement par la reconnaissance du crime.

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