Pierre-Yves Fux, ambassadeur de Suisse, souligne la priorité actuelle pour l’Algérie : “récupérer les fonds illégalement transférés vers la Suisse”

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Pierre-Yves Fux, Ambassadeur de Suisse, souligne la priorité actuelle pour l'Algérie : "récupérer les fonds illégalement transférés vers la Suisse"
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L’ambassade suisse à Alger a organisé, entre le 19 et 21 novembre 2023, des visites et des rencontres sur ses bâtiments diplomatiques après la reconstruction de la résidence de l’ambassadeur et le réaménagement des jardins, au niveau de la rue Slimane Amirat, à El Mouradia, à Alger.


Le bâtisse, qui abrite l’ambassade, a été construite depuis dix ans. L’ambassade a pris soin de préciser que les deux bâtiments ont été construits avec une approche écologique et algéro-suisse “illustrée par la façade en moucharabieh de l’Ambassade faite de croix diagonales et réalisée par les architectes Thierry Savoy (Lausanne) et Mohamed Larbi Merhoum (Alger) sur des plans du bureau lausannois Bakker et Blanc”.  


Pierre-Yves Fux, ambassadeur de Suisse en Algérie, explique dans cette interview cette forme de coopération et revient sur les projets qui peuvent être développés dans le cadre de la relation bilatérale.  


24H Algérie: Parlez-nous de cette forme architecturale contemporaine que vous avez choisie pour votre résidence et pour celle de l’ambassade dont la forme est originale ?

Pierre-Yves Fux: Ce soir, nous avons célébré l’architecture. Nous ouvrons un nouveau bâtiment qui sera la résidence de l’ambassadeur. Un lieu où je recevrai des gens et où je travaillerai. Le travail pour nous diplomates est tous les jours de la semaine. Juste en face, on voit le bâtiment qui abrite l’ambassade et le consulat et qui a été construit dix ans auparavant. Il s’agit de deux pièces architecturales particulières conçues et réalisées par des architectes suisses et algériens avec des idées et des matériaux des deux pays.

Des bâtiments qui, en soi, sont des symboles. Petite anecdote sur la résidence : il y a un meuble qui a une histoire remontant au 20 février 1961. Il était dans la même pièce où les membres du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) avaient discuté secrètement avec Georges Pompidou (mandaté par Charles de Gaulle pour négocier avec le FLN, les discussions s’étaient poursuivies à Neuchâtel et à Lucerne, en Suisse). Ils avaient préparé ce qu’il allait être les Accords d’Evian de 1962.


Ces deux bâtiments ont une autre particularité, celle d’être des structures écologiques. La nature est intégrée en tenant compte du climat d’Alger. Il est question aussi de diminuer les frais d’énergie pendant l’exploitation. Il s’agit de bâtiments du XXI ème siècle. Nous essayons d’apporter une petite contribution à la question du changement climatique avec des bâtiments écologiques et économiques. Les architectes Olivier Lütjens et Thomas Padmanabhan de Zurich ont conçu la résidence en respectant les normes sismiques. Il s’agit d’un pavillon de jardin ouvert et kaléidoscopique.


Des palmiers sont aussi dans vos jardins aussi…

Les palmiers ont été plantés par un ancien directeur du Jardin d’Essai d’Alger. A l’époque, on appelait cet endroit la villa des Tamaris (ex chemin Lucien Raynaud). A côté des palmiers, ont été plantés des agrumes et des essences rares. Florian Bischoff, un architecte paysagiste de Zurich, a redessiné et rénové les jardins historiques. Les jardins sont également une pièce de l’ambassade, des lieux où on se rencontre et d’où on peut apprécier la beauté de la ville d’Alger.


Comment évoluent les relations entre les deux pays ? Existent des perspectives, des projets ? L’Algérie et la suisse ont, pour rappel, signé en 2004 un accord sur la promotion et la protection réciproque des investissements et, en 2006, une convention pour éviter la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune…


Ces relations ont la particularité d’avoir commencé comme politiques. Habituellement, la Suisse commence ses relations avec des partenaires commerciaux. C’est un pays qui exporte énormément, un franc sur deux est gagné à l’étranger. C’est donc une économie ouverte sur l’exportation (machines, produits pharmaceutiques et chimiques, montres, services financiers, etc). En Algérie, des industries suisses sont présentes (ABB, Swissport, Roche, Clariant, Nestlé, Sika, Le Connaisseur, etc). Les investisseurs suisses qui auront plus de chances en Algérie sont ceux qui apportent de nouvelles idées. Des idées qui permettent d’affronter des défis nouveaux, comme ceux liés à l’environnement. Ils doivent faire la différence.


Nous avons des relations scientifiques aussi. Mon premier voyage en Algérie remonte à vingt ans, c’était dans le cadre d’un projet entre l’université de Fribourg et ses partenaires algériens sur Saint-Augustin. Nous avons aussi des projets éditoriaux. Il y a aussi des boursiers depuis des années. Nous avons des relations culturelles grâce à une langue que nous partageons, le français. Un domaine où beaucoup de choses se font. Il y aussi des relations liées aux défis de notre temps…


Par exemple ?

Les délégations les plus fournies ces dernières années qui sont venues sont celles des ministères de la Justice et de la Police. Nous avons beaucoup d’échanges sur la question migratoire qui touche autant l’Algérie que la Suisse. C’est un exemple de coopération intergouvernementale parmi d’autres.


Quand on parle de Suisse, on parle de Banques. Existe-t-il des coopérations à ce niveau là surtout que l’Algérie aspire à moderniser encore plus son système bancaire et financier ?


Il n’y a pas de banque suisse présente en Algérie pour l’instant. Les banques suisses ont joué un rôle historique avant l’indépendance de l’Algérie et pour le FLN. Des imprimeries clandestines et des intellectuels suisses ont soutenu l’Algérie durant cette période (guerre de libération nationale). Des services financiers étaient aussi assurés. Actuellement, ce qui intéresse le plus l’Algérie est la récupération de fonds illégalement transférés vers la Suisse.


Justement où en est la coopération entre les deux Etats sur ce dossier ?

Les systèmes judiciaires coopèrent entre eux. La Suisse avait commencé à faire un travail à l’époque des Fonds Marcos avec Manille (les avoirs déposés dans des banques suisses par la famille de Ferdinand Marcos,  président des Philippines entre décembre 1965 et février 1986) . Toute une pratique de restitution des avoirs de potentats s’est créée. Une expérience est acquise et qui existe au niveau international. C’est l’un des domaines où la Suisse coopère avec l’Algérie.


La Suisse est-elle prête à restituer à l’Algérie les fonds détournés d’une manière illégale vers ses banques ?

Il existe des contraintes juridiques parce qu’il ne s’agit pas simplement de confisquer ou de restituer (des fonds) au mauvais endroit et au mauvais moment. Il existe des procédures bien rodées, développées depuis l’affaire des fonds Marcos. Le dialogue que nous avons avec l’Algérie porte aussi sur la manière de constituer un dossier. C’est très important. La coopération existe mais ses modalités doivent être bien comprises. C’est un des éléments de l’échange qui existe entre les spécialistes des deux Etats.


Donc, la Suisse est prête à coopérer…

Oui, la coopération existe. Des délégations se sont déplacées entre les deux pays et dans les deux sens. Vous avez sûrement lus que certains fonds ont été gelés. Des procédures sont en cours. C’est quelque chose qui fonctionne à son rythme. En tant qu’ambassadeur, je ne suis pas en mesure de connaître le rythme judiciaire. Ce que fait l’ambassade est d’encourager l’échange mais la procédure elle-même se fait entre services judiciaires concernés.


A propos de coopération économique, quels seraient les secteurs qui pourraient éventuellement intéresser les investisseurs suisses en Algérie d’autant plus qu’une nouvelle loi sur l’investissement offre beaucoup de facilités et réduit les contraintes ?


L’Algérie pour un acteur économique suisse, c’est un pays avec d’extraordinaires ressources naturelles. Et la manière de transformer, d’exploiter, d’utiliser et d’exporter ces ressources sont des procédures qui existent déjà avec des entreprises suisses présentes en Algérie. L’Algérie est un pays qui a des produits agricoles, qui a un savoir-faire et un potentiel touristique. Un potentiel dont on ne voit pas encore la réalisation actuelle.

L’Ecole hôtelière de Lausanne (Hospitality Business School, EHL)  a déjà des partenariats en Algérie. Entre l’Algérie et la Suisse, c’est moins de deux heures de vol. Donc, le tourisme entre nos deux pays peut se développer. Là où les entreprises suisses peuvent prendre de la place, face à d’autres concurrents, c’est dans le secteur de l’innovation. L’innovation technique, les nouvelles solutions dans le médical, l’environnement, les technologies fines, y compris dans l’acheminement des fluides.

J’étais au salon NAPEC (North Africa Energy & Hydrogen Exhibition and Conference) à Oran, début novembre, et j’ai vu des compresseurs, des turbines et d’autres équipements de fabrication suisse de haute précision qui peuvent intéresser les Algériens et qui peuvent être utiles pour la transition écologique voire même la transition numérique de l’Algérie.


Justement, la numérisation est un projet stratégique pour l’Algérie. La Suisse peut-elle apporter sa contribution à ce projet ?
Oui, nous avons une grande expérience pour le Blockchain (service d’exploration et d’information sur les cryptomonnaies, bitcoin et Ethereum). C’est un des lieux du monde où il y a la plus grande concentration d’entreprises et d’expériences. Le fait d’avoir de l’expérience est une manière d’apprendre à ne pas répéter les erreurs. Chaque pays, chaque situation, sont uniques. Nous avons acquis de l’expérience par les erreurs et les risques pour une technique nouvelle. Nos entreprises, nos universités et nos écoles polytechniques peuvent coopérer en termes de numérisation, d’énergie, de protection de données et de fiabilité. La Suisse a aussi une grande expérience en matière de partenariat privé-public et académie-entreprise. Là, il y a déjà une coopération entre les industries pharmaceutiques suisse et algérienne.


Les demandes de visas pour la Suisse sont-elles importantes de la part des Algériens, les deux pays ont, pour rappel, conclu un accord sur la circulation de personnes appliqué depuis 2006 ?


Beaucoup d’Algériens nous demandent des visas touristiques. Il y a de nombreuses visites familiales. Des visites qui ont repris après la pandémie de Covid-19. Nous délivrons des visas d’affaires et des visas d’étudiants. Nous avons toutes les catégories.

Les visas sont délivrés dans le cadre du système Shengen dont nous faisons partie. J’ai l’impression qu’il n’y a plus de basse saison tant les demandes de visas sont importantes. On peut le mesurer d’une autre manière avec l’augmentation des fréquences des vols d’Air Algérie (vers l’Europe). Les échanges de voyageurs sont donc importants.

Les Suisses sont intéressés par un tourisme qualitatif. L’Algérie regorge de trésors naturels. Les Suisses adorent les randonnées pédestres. Ils sont de grands marcheurs. La Suisse, le petit pays, compte 65.000 km de sentiers pédestres (chemins de randonnée de plaine, chemins de montagne et chemins de randonnée alpins). Les randonnées peuvent permettre de voir les paysages magnifiques qui existent en Algérie.

Les archéologues suisses sont intéressés aussi par les nombreux sites archéologiques existant en Algérie. J’ai déjà accueilli plusieurs délégations intéressées par le passé romain de l’Algérie.

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