Rabia Guichi, 56 ans, est comédien et metteur en scène. Il est également éducateur spécialisé en art dramatique. Il a, à son actif, une quizaine de pièces de théâtre comme “Djoha”, “Hamlet”, “Harb al douma” (la guerre des poupées), “Fantasia”, “Ayala hayla” (une famille merveilleuse), “El mazbala al fadéla” (la décharge idéale), “El manb’a” (la source) et “El qors el asfar” (le cercle jaune). Il a mis en scène également des pièces pour enfants comme “Moughamarat imlak” (les aventures d’un géant). Avec Masrah El Tadj, à Bordj Bou Arreridj, Rabia Guichi est parmi les premiers à avoir popularisé le théâtre de rue en Algérie à partir de 1990.
24H Algerie: Rabia Guichi, quel regard portez-vous sur le théâtre actuel en Algérie ? Est-il en évolution ?
Il y a des hauts et des bas. Il n’y a pas beaucoup de création. Et, il y a un manque de suivi de la part des médias. J’ai passé plus de trente ans dans le travail pour le théâtre, personne ne suit ce que je fais, y compris de la part des critiques. Je ne veux pas de prix mais qu’on s’intéresse à ce que je fais, qu’on écrive sur les pièces que je produis.
J’ai toujours proposé la création d’une revue pour le théâtre, à l’image de “Sitar”, qui existait il y a quelques années. Des journalistes professionnels peuvent prendre en charge cette revue et suivre l’activité théâtrale et les créations des metteurs en scène à longueur d’année. Pour évaluer ou analyser une pièce de théâtre, il faut connaître le parcours créatif du metteur en scène, avoir une idée précise sur ses visions artistiques. On ne peut pas juger un metteur en scène sur une seule pièce.
Comment ?
Abdelkader Alloula suivait les conseils de M’hamed Djellid ( critique, dramaturge et sociologue). A l’époque, les expériences d’Aloula et de Kateb Yacine étaient suivies et des écrits étaient publiés. Ils sont nos repères. Ma génération a vécu entre les deux époques, nous avons des choses à dire encore. Là, nous vivons une autre expérience, mais qui ne semble pas susciter d’intérêt. Il faut également faire un bilan des festivals de théâtre. Que retient-on de ces festivals?
Peut être que ces festivals ont fait connaître des comédiens, lancer des carrières professionnelles, contribuer à la formation artistique
Peut être. Sincèrement, je n’ai pas apprécié certaines choses à l’époque de M’Hamed Benguettaf (premier commissaire du Festival national du théâtre professionnel d’Alger, FNTP, en 2006). Je parle du gestionnaire, pas de l’artiste. Beaucoup d’argent avait été dépensé à l’époque. Pourquoi les pièces présentées durant cette période n’ont pas été filmées par la télévision ? Pour moi, les éditions du FNTP ne doivent pas se ressembler. Le FNTP doit investir d’autres espaces, mis à part le TNA (Théâtre national Mahieddine Bachtarzi d’Alger). Il y a également beaucoup de choses à dire aussi le Festival international du théâtre (déplacé d’Alger à Béjaïa). Il existe peu d’écrits dans la presse sur ces deux festivals, surtout durant les premières éditions.
Le travail de documentation n’a pas été fait donc
Oui. Il y a peu de documents. Les chercheurs, les critiques et les créateurs peinent à en trouver. Il est donc normal qu’aujourd’hui, on ne connaisse pas ou peu certains metteurs en scènes et leurs travaux parce qu’il n’existe pas de trace, ni écrits ni images ni vidéos. Des expériences ont été effacées en raison de l’absence de ce travail de documentation. On trouve des difficultés aujourd’hui à restituer l’Histoire du théâtre et à faire l’analyse de tout ce qui a été fait. Il faut écrire sur le théâtre aujourd’hui et en continu pour que nos travaux ne disparaissent pas…Pendant plus de vingt-cinq ans, j’ai travaillé sur la base d’un canevas.
Donc, sans texte
Oui, dans la majorité des pièces que j’ai mises en scène, j’ai eu recours à l’improvisation. Le montage se fait au fur et à mesure. Et le texte suit (technique de la Commedia Delle’arte).
Vous dites être contre la distribution des prix lors des festivals de théâtre. Pourquoi ?
Je suis contre la compétition dans les festivals et la distribution des prix. L’art défend d’abord une cause. Ce n’est pas une question de premier ou de deuxième de la classe. Le théâtre doit accompagner l’environnement dans lequel il évolue. Un festival doit être une fête du théâtre, pas une course aux prix. Les festivals de Carthage (Tunisie) et d’Avignon (France) ont supprimé les prix, par exemple. Les gens s’intéressent aujourd’hui aux recherches dans la création théâtrale, sont en quête de nouvelles formes d’expression. Aujourd’hui, nous parlons des travaux de Kaki, Alloula ou Kateb, pas des distinctions qu’ils ont obtenues. C’est cela l’essentiel.
Comment améliorer l’organisation du festival du théâtre professionnel?
Il faut qu’il y ait une cohésion entre les différentes institutions qui interviennent dans le domaine culturel. Et le commissariat du festival doit travailler à longueur d’année pas uniquement à l’approche de l’événement. Avec le théâtre Tedj (à Bordj Bou Arreridj), nous avons participé à plusieurs reprises à un festival en Roumanie. A chaque fois, le thème de la prochaine édition était annoncé, une année à l’avance, pour permettre aux participants de se préparer.
Il est question de réforme de l’activité du théâtre en Algérie. Qu’en pensez-vous?
Évoquer le théâtre signifie parler d’un projet de société. Aucune réforme du théâtre n’est possible sans l’intervention de l’université, de l’école, des collectivités locales. Il s’agit d’un ensemble (…) Il faut qu’il ait des lois claires permettant la création de théâtres et de salles privés par des artistes professionnels. L’Etat doit appuyer ce genre d’initiatives. Idem pour les banques. L’Etat doit continuer son soutien à la culture. Nous pouvons nous inspirer des expériences des autres pays. Le constat est que les gens qui travaillent dans le domaine du théâtre ne sont pas nombreux par rapport à la dimension de l’Algérie.
J’ai proposé qu’on transforme le Théâtre régional d’El Eulma (Sétif) en théâtre pour enfants. C’est une manière de préparer les générations à cet art. Et, le public enfant est très demandeur. Cela permettra à ce théâtre d’avoir des entrées. Il faut dire que le théâtre d’El Eulma était livré à lui pour ne pas dire autre chose pendant une certaine période. Les gens ont gardé une mauvaise image de cet espace culturel, ne savent pas que le théâtre est devenu une institution avec un directeur.
Partout, le théâtre doit avoir des relations avec les institutions, wilayas, APC, maisons de culture….aujourd’hui, chacun est dans son coin, pas de contacts. Sur quelle base les directeurs des théâtres (publics) sont-ils nommés? Le directeur est-il un gestionnaire? Un créateur?
On parle de contrat de performance pour les directeurs de théâtre…
C’est une bonne idée, mais comment l’appliquer sur le terrain ? Il faut qu’il ait un cahier de charges. Avant d’être nommé, un directeur doit remplir un certain nombre de conditions et venir avec un programme applicable sur deux ans. J’ai eu des problèmes dernièrement avec le responsable actuel du Théâtre régional Azzeddine Medjoubi d’Annaba. Il s’est mal comporté avec l’équipe du spectacle pour enfants “Lawha” que je viens de monter.
Les cachets accordés au scénographe et au chorégraphe étaient bas, pas à la hauteur de l’effort fourni. Est-il raisonnable d’accorder un cachet de 50.000 dinars pour un chorégraphe ? Les conditions d’hébergement des comédiens étaient mauvaises. Savez-vous que le théâtre d’Annaba est le plus grand du pays avec 1200 places. Il est resté fermé même après la décision des pouvoirs publics d’ouvrir les salles de théâtre après une période de confinement. Il n’y aucune activité artistique dans ce théâtre malgré qu’Annaba regorge d’artistes plasticiens, de musiciens, d’écrivains… Une journaliste a proposé la création d’un café littéraire au sein du théâtre. Elle n’a eu aucune réponse.
En montant le spectacle, j’ai assuré une formation pour les jeunes comédiens, certains sont des débutants. Je l’ai fait gratuitement. C’était une manière d’assurer un casting. Par exemple, Hasna Akab de Skikda aura sa première expérience au théâtre professionnel avec la pièce “Lawha” en jouant trois rôles. Après la générale du spectacle, j’ai dénoncé les mauvaises conditions de travail au théâtre d’Annaba.
Quelle place peuvent avoir les coopératives de théâtre dans le futur ?
Il faut une nouvelle loi pour encadrer et protéger les coopératives de théâtre. Je préfère que les coopératives soient individuelles, pas collectives. Chaque artiste peut créer sa propre coopérative sous forme d’une petite entreprise avec des aides fiscales puisque la rentabilité dans ce genre d’activités est faible. Je le dis souvent : l’art et la culture doivent être soutenus par l’Etat. Le théâtre libre doit exister en Algérie. J’ai tellement couru pour avoir mon propre espace. Je ne veux pas travailler avec le théâtre public. Je veux faire du théâtre engagé, à ma manière.
J’ai formé plusieurs groupes de comédiens à Bordj Bou Arreridj. J’ai par exemple aidé Omar Thairi et Idris Benchernine (qui a réalisé le sitcom “Bougato”, diffusé par El Djazairia One durant ce Ramadhan) à rejoindre le théâtre. Driss a commencé avec moi à l’âge de sept ans. Je crois à l’importance de la formation. A notre époque, le théâtre est d’abord un combat. Je souhaite que les artistes aient une certaine maturité et évitent de se tirer entre les pieds.
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