Sofiane Saidi, chanteur : “Je veux rompre avec la victimisation systématique portée par le raï”

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Sofiane Saidi, chanteur :
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Sofiane Saidi, 50 ans, est un auteur, compositeur et interprète algérien établi en France. Il joue seul sur scène du rai électro. Il a  accompagné par le passé Raina Rai, Rachid Taha ou Natacha Atlas. Il a produit deux albums, “El mordjane” (2015) et “Noujoum” (2018). Sofiane Saidi a assuré la soirée d’ouverture du 23ème Festival européen de musique, le jeudi 15 juin, au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi à Alger (TNA).


24H Algérie: Vous avez participé au 23ème festival européen de musique à Alger à l’invitation de la Délégation européenne en Algérie (DUE). Qu’est-ce que cela évoque pour vous d’être un chanteur algérien entre deux rives ?

Sofiane Saïdi: La musique est un territoire intouchable. C’est un monde. Au fur et à mesure qu’on avance, on enlève des peaux comme le ferait un serpent. On se débarrasse de certains carcans et on devient de plus en plus soi et, en même temps, on devient tout le monde. Le temps d’une nuit, je pourrai me sentir praguois à Prague. C’est pareille à Munich où j’ai joué récemment. Cela nous procure une certaine liberté et on absorbe les cultures. Et, c’est génial parce qu’on apprend, on donne…


Sur cette notion d’absorption, qu’avez vous appris durant vos voyages sur le plan artistique ?

J’ai appris un peu la technologie à utiliser dans les compositions musicales à partir du traditionnel. Il s’agit de produire un son puissant. Du coup, cela permet au plus grand nombre de vivre cette musique différemment, pas comme quelque chose d’étranger ou d’agressif. Je n’ai pas appris l’anglais ou d’autres langues, mais j’absorbe des mots ou des sons qui me rappellent parfois l’arabe. J’ai découvert que les européens sont des africains à part entière aussi.


On vous qualifie souvent de chanteur rai 2.0. Pourquoi ce titre qui renvoie à l’évolution technologique ?

A moment donné, le rai n’avait plus de visibilité en Europe. Pour moi, le summum du succès du rai était l’album “1,2,3 Soleil” (Sorti en 1998, cet  album live a rassemblé sur scène Khaled,  Rachid Taha et Faudel). C’était le top et la fin en même temps, la chute brutale après une montée au sommet de la montagne.


Pourquoi cette chute justement ?

J’étais jeune à l’époque, mais je savais que le rai avait une aura international et un message à délivrer. Les gens pensent que c’est une musique légère avec des mœurs légères. Ils ont oublié qu’une artiste comme Cheikha Remitti avait chanté pour la Révolution algérienne. C’était aussi un chant militant comme le blues qui donnait l’envie de rester debout, de résister. Avec le temps, le rai est devenu comme un produit de supermarché. Il a été banalisé. C’est devenu comme une musique de ghetto avec des collaboration R’n’B, Rap…On est entre nous, entre des gens de cités…Le rai, ce n’est pas cela. Cette musique va à la recherche des gens par sa folie et son côté libre. Elle inspire les gens notamment les européens et les nords et sud américains. Nous sommes là pour les inspirer encore.


Et le rai 2.0 ?

C’est juste parce que j’ai eu l’impression d’avoir tenu la baraque. J’étais comme un matelot dans un navire qui chavire. J’étais peut-être le moins formé des autres matelots mais j’ai tout de même réussi à tenir la barre sans aucune prétention. J’ai continué, cru comme un chercheur d’or à la nécessité de tenir, trouvé des solutions pour maintenir le rai à flots et le partager avec les DJ. J’ai compris que le rai avait un lien avec l’électronique. Pour moi, Cheb Hasni est le créateur du rai-électro. Le musicien Bouhafs avait ramené une console Atari. Personne n’utilisait cette console à l’époque. Bouhas avait utilisé des samplers, c’était nouveau. Le rai a aussi un lien avec le new wave, avec tout ce qui est synthé. Donc, j’ai fait une synthèse de tout cela. J’ai quitté l’école à 15 ans et j’ai continué à apprendre parce que je suis curieux de nature. Le son rai ne pourra jamais mourir si on le renouvelle constamment.
Mettre de l’électro est une manière de donner un nouveau souffle au rai, de le rafraîchir…Exactement. Parfois, il est compliqué de rassembler plusieurs musiciens pour des concerts. C’est toute une organisation. Dès le début, j’ai décidé de travailler seul, de développer les sons autour de moi, un peu comme dans l’histoire du hip hop. Les artistes n’ont pas appris la musique, ne connaissaient pas le solfège. Ils ont juste pris ce qu’ils avaient entre les mains des vinyls qu’ils ont mélangé à des rythmes. Cela avait donné un nouveau son.


J’ai pris le son du rai que j’ai mélangé avec de l’électronique. Cela me permet de jouer de façon autonome, de faire un concert seul sur scène. Nous vivons une époque deep, forte. L’électro est une bonne réponse à ce côté down de l’époque parce que ça réveille les gens, ça leur donne une certaine attitude.


Quelle est la responsabilité des chanteurs comme Mami ou Khaled dans “la régression” du rai ?

Je ne pense qu’ils ont une responsabilité. Iddir disait que Mami était un enfant dans le sens de la naïveté. Depuis le jour où il avait interprété une chanson (“ya dha el marsam”) dans l’émission “Alhan oua chabab” à l’âge de 14 ans, il est resté enfant. Il me rappelle quelque part Michael Jackson dans son parcours. Et ce n’est pas péjoratif. Mami ou Khaled n’ont jamais grandi en fait. Les deux artistes ont beaucoup donné. Les gens qui s’occupaient d’eux et les majors les ont asséchés, pressés comme un citron. Mami et Khaled n’ont pas été bien conseillés. La seule chose que je pourrais leur reprocher, sans les dénigrer, c’est peut être leur manque de curiosité. A un moment, ils ont pris le train en marche sans être curieux.


Comment travaillez-vous vos textes ? Puisez-vous dans le patrimoine ?

Oui, j’écris les textes de mes chansons. Ils sont entre profondeur et légèreté. Je veux rompre avec la victimisation systématique portée par le raï, genre “ana nebghiha ou hiya matebghinich” (je l’aime, elle pas). Je voulais raconter d’autres choses. Le rai mérite. Du coup, j’ai crée des personnages, supprimé le genre. Dans “El morjane”, mon premier album, j’ai évoqué une créature sous-marine. J’ai juste essayé de titiller mon imaginaire et d’aller chercher d’autres thèmes. Dans “Noujoum”, j’ai évoqué l’histoire de deux personnes paumées qui montent dans le ciel pour rencontrer les étoiles comme des cosmonautes. Peut être qu’il s’agit là de tentatives maladroites mais il faut ne pas que le texte rai s’essouffle…


Le rai était marqué d’interdit en Algérie à une certaine époque notamment dans les médias lourds. Aujourd’hui, il est classé dans la liste de l’UNESCO du patrimoine immatériel de l’humanité au nom de l’Algérie. Comment expliquer cette évolution ?


Il est connu qu’en Algérie, le ski n’est pas un sport national, mais si un jour, un skieur algérien décroche une médaille d’or à l’étranger, tout le monde va s’intéresser au ski et à la neige. Dans les années 1980, le pouvoir politique s’est rendu compte de l’importance et de la force de la musique rai. Il a donc décidé de la contenir. C’était un rôle assumé par Hocine Senouci avec intelligence.  Le rai n’était pas l’ennemi public numéro 1. L’inscription du rai par l’UNESCO valide quelque chose qui était déjà présente. Cela donne un statut au rai. Aujourd’hui, il faut mettre les artistes au cœur de cette inscription, prendre soin d’eux avant leur répertoire. Il faut sauvegarder ce patrimoine.


Aujourd’hui, il est fait beaucoup de reproches aux textes chantés du rai. Ils n’ont plus cette puissance des textes des années 1980-1990. On y évoque notamment la consommation de la drogue et des psychotropes. Les mélodies sont peu travaillées. Comment expliquez vous cette régression ?


Pour mieux observer un style musical, il faut s’intéresser à sa consommation. Dans les années 1970, les chanteurs rai étaient plutôt “vin”, des choses tranquilles. Dans les années 1980, ils sont passés au “whisky”. Le rythme est devenu plus rapide et plus fort. Dans les années 1990, la décennie noire, le rai est devenu hard. Un style qui a eu du succès parce qu’il y avait une certaine violence au sein de la société.
Des groupes métal rock naissaient aussi, à la même époque, à l’est du pays. C’est une évolution naturelle. Aujourd’hui, des stupéfiants sont entrés dans le marché.

Automatiquement le son et le rai changent et sa consommation devient plus violente et plus forte. Il ressemble à l’époque. On ne peut pas reprocher à nos jeunes d’être ce qu’ils sont. C’est à la société de les éduquer et de leur donner un horizon. Ce n’est pas la faute du rai, mais celle des parents, du système scolaire. Il existe certes une régression, mais il y aura une renaissance. Une renaissance à l’image du pays. Il y a ceux qui veulent dire le contraire, mais je sens qu’il existe une envie de faire mieux par les gens de façon parfois autonome. On veut faire des choses bien. Je ne peux qu’adhérer à cette dynamique.

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