Soraya Mouloudji, ministre de la Culture et des Arts : “Nous voulons un marché du travail organisé pour les artistes “

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Soraya Mouloudji, ministre de la Culture et des Arts :
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L’Algérie se dote pour la première fois d’un statut d’artiste réclamé depuis des années par les professionnels de la scène, des studios, des plateaux, du pinceau et de la plume. Le décret présidentiel 23/376 du 22 octobre 2023, portant Statut de l’artiste, a été publié dans le journal officiel N°70. Un texte d’une trentaine d’articles qui définit l’artiste, ses droits, ses devoirs.  “Sont soumis aux dispositions du présent décret, les artistes, les techniciens d’œuvres artistiques et les administrateurs d’œuvres artistiques, à l’occasion de l’exercice des activités artistiques”, est-il indiqué dans le texte.

Le décret prévoit une nomenclature des métiers artistiques, qui sera bientôt élaborée. et précise les conditions de l’obtention de la carte d’artiste, la nature du contrat artistique ainsi que le régime de protection sociale et légale. Soraya Mouloudji, ministre de la Culture et des arts, a accordé une interview à 24 H Algérie pour revenir sur ce statut.


24H Algérie: La statut de l’artiste a été promulgué par un décret présidentiel. Est-ce une manière de lui donner plus de force pour son application ?

Soraya Mouloudji: Avant d’arriver à ce résultat, nous avons élaboré un plan et une méthodologie. On peut même parler d’une méthodologie scientifique accompagnée d’un calendrier avec des délais bien définis. Dès le début, nous avons retenu six mois pour l’exécution du projet. Des ateliers régionaux ont été organisés durant trois mois. Nous avons organisé 36 ateliers au niveau national. Parallèlement, nous avons lancé une étude-enquête scientifique que j’ai moi même dirigée avec des chercheurs du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d’Oran. Une enquête sur le terrain pour avoir une image complète sur les conditions socioprofessionnelles des artistes avec des chiffres et des taux précis.


Une rencontre nationale a été organisée à Alger, le 9 mai 2023, supervisée par le Conseil national des arts et des lettres (CNAL), pour faire la synthèse des travaux des ateliers régionaux…


Oui, c’était un atelier national marqué par la présence des artistes et des techniciens pour discuter des conclusions des ateliers régionaux livrées ensuite à un comité technique intersectoriel regroupant le ministère du Travail, le CNAL et des experts juridiques. Fin mai 2023, nous avions déjà l’avant-projet du statut d’artiste. Le texte a été déposé au niveau du Secrétariat général du gouvernement (SGG). J’ai fait aussi un exposé au niveau du Conseil du gouvernement sur ce texte en introduisant une demande pour que la promulgation se fasse par décret présidentiel. La demande a été acceptée.


Ce travail technique de préparation nous a pris un peu de temps. Le président de la République Abdelmadjid Tebboune a dès le début apporté son soutien et a insisté à chaque fois pour accorder de l’importance aux artistes algériens et à leurs conditions sociales et professionnelles. Il n’y a pas d’autres voies pour réaliser ces objectifs qu’avoir une base juridique solide et précise. Nous devons sortir du “cas par cas”. Pour moi, l’artiste ne doit pas être un cas social. C’est un citoyen qui a ses droits et des devoirs. Le décret présidentiel 23/376 apporte des réponses et des précisions à tout cela.


D’où l’organisation d’une journée d’étude, ce lundi 20 novembre 2023,  pour mieux expliquer le contenu et les objectifs de ce décret…

Oui, parce que le texte est porteur de certaines conditions et d’avantages. Le décret précise avec exactitude qui est artiste : “toute personne physique exerçant une activité artistique, à travers la création ou la participation par ses œuvres artistiques, littéraires, techniques ou administratives à la création ou à la recréation artistique, ou par son interprétation ou sa mise en œuvre sous toute forme qu’elle soit, et sur tous supports, contribuant ainsi au développement de l’art et de la culture”.  


Il évoque aussi une nomenclature des métiers artistiques, une cartographie nationale des artistes…Donc, il est nécessaire que tous les artistes adhèrent à cette démarche et à cette politique pour qu’ils soient mieux protégés.


Est-il prévu des textes d’application au décret ?


Trois textes d’application sont prévus. Le premier a trait à l’article 16 du décret. Cet article stipule qu’il est “créé, auprès des services du ministère chargé de la culture, un mécanisme pour le remboursement des artistes, des techniciens d’œuvres artistiques et des administrateurs d’œuvres artistiques en cas d’arrêt involontaire de l’exercice de l’activité artistique. Les modalités d’application du présent article sont définies par voie réglementaire”. Cette disposition est relative aux intermittents du spectacle. Nous avons beaucoup avancé dans la préparation de ce texte en coordination avec les ministères du Travail et des Finances. Il sera bientôt transmis au SGG. Il s’agit de mieux organiser le métier de l’artiste aussi.


Est-il question de créer une caisse spéciale ?

Pour l’instant, nous n’avons pas encore retenu une formule. L’essentiel est que la prise en charge financière des artistes se fera sur budget de l’Etat pendant une certaine période. Nous avons fait une proposition mais rien n’a encore été tranché au niveau du gouvernement. L’autre texte d’application est relatif à la création et à la gestion des coopératives (l’article 27 du décret stipule que “la coopérative artistique est un groupement de personnes physiques ou morales, dont l’adhésion est volontaire. Elle a pour objet l’amélioration de la condition socio-économique de ses partenaires. La coopérative artistique jouit de la personnalité morale et de l’autonomie financière.

Les modalités de création et de gestion des coopératives artistiques sont définies par voie réglementaire”). Le texte d’application donnera un véritable ancrage juridique aux coopératives artistiques qui n’en avaient pas. Cela ouvrira beaucoup de portes et d’opportunités dont la possibilité d’avoir un subvention de l’Etat. Nous allons établir une cartographie nationale de toutes les coopératives artistiques et organiser des ateliers de formation pour encourager et améliorer l’entrepreneuriat culturel.


Et le troisième texte d’application ?

Le troisième texte d’application concerne l’article 24 du décret qui stipule “qu’une nomenclature des métiers artistiques est fixée et actualisée par arrêté du ministre chargé de la culture après approbation du conseil national des arts et des lettres”. Trois commissions ont été installées au niveau du CNAL pour la préparation de ces trois textes d’application. Des textes qui seront promulgués durant le premier semestre de 2024 après discussion et examen au niveau de tous les secteurs ministériels concernés et du Conseil du gouvernement.


Qu’en est-il justement de la nomenclature des métiers artistiques ?

Nous avons ouvert plusieurs chantiers en parallèle lors de la préparation du décret portant statut de l’artiste. Le CNAL a fait un travail approfondi sur les métiers artistiques. Il a organisé plusieurs réunions sur les catégories et les genres artistiques en présence des professionnels concernés.

Le CNAL a élaboré neuf grandes familles de métiers artistiques. Il s’agit des : métiers littéraires, arts dramatiques, arts musicaux, arts du spectacle, arts chorégraphiques, arts visuels, arts cinématographiques et de l’audiovisuel,  arts de la rue et arts numériques. Le nombre total des métiers artistiques dépasse les 180. La nomenclature peut être renouvelée puisque des métiers apparaissent et d’autres disparaissent au fil du temps. Il n’y a qu’à citer l’exemple de l’art virtuel. La nomenclature des métiers artistiques, une fois finalisée, sera promulguée par arrêté ministériel.


Quel est le nombre exact d’ artistes en Algérie ? Certains se présentent comme des artistes alors qu’ils ne le sont pas réellement…


Justement, le décret présidentiel 23/376 aborde cette question. L’artiste est clairement défini dans l’article 3 (“Artiste : toute personne physique exerçant une activité artistique, à travers la création ou la participation par ses œuvres artistiques, littéraires, techniques ou administratives à la création ou à la recréation artistique ou par son interprétation ou sa mise en œuvre sous toute forme qu’elle soit et sur tous supports, contribuant ainsi au développement de l’art et de la culture”).


Les paramètres relatifs aux artistes sont au niveau du CNAL et de l’ONDA (Office national des droits d’auteur et des droits voisins) pour l’obtention de la carte d’artiste. Des paramètres  précis, objectifs et transparents. Ces paramètres doivent être réunis pour pouvoir bénéficier de la carte d’artiste. Avant d’avoir la carte, l’artiste doit remplir un formulaire. Il faut noter que les entreprises et les producteurs, qui bénéficient de subventions publiques, sont tenus d’engager les artistes porteurs de cartes à 80 % dans leurs productions artistiques.


Combien de cartes d’artistes ont été distribuées ?

En 2022, nous avons régularisé tous les dossiers qui étaient en suspens depuis 2016 et distribué 500 cartes d’artiste. Cette année, nous avons également distribué 500 cartes d’artiste, après examen fait par le CNAL. J’ai découvert que nos plus grands artistes, les plus connus, n’ont pas de cartes. Je les appelle personnellement pour leur demander d”envoyer une photo pour leur  établir leurs cartes. Sans cette carte, ces artistes reconnus peuvent perdre une partie de leurs droits.

D’où ma décision d’organiser des journées pour informer et sensibiliser les artistes sur  la nécessité de demander leurs cartes. Tous les directeurs de la culture au niveau des 58 wilayas ont été instruits pour expliquer aux artistes le contenu du nouveau décret et de les informer de sa promulgation. D’autres secteurs vont participer à cette campagne d’explications comme le CNAL, la CNAS (Caisse nationale de l’assurance sociale), le CNR (Caisse nationale de la retraite), l’administration des impôts, l’Inspection du travail, l’ONDA… Le plus important est que tous nos artistes soient bien informés du contenu du décret présidentiel.


Qu’en est-il de l’affiliation aux caisses  des assurances sociales (CNAS, CASNOS) ?
Les artistes doivent s’affilier aux caisses des assurances sociales. Nous avons constaté que peu d’artistes sont assurés (l’artiste 6 du décret du 22 octobre 2023 stipule en son alinéa 6 que l’artiste s’engage à “la déclaration et à l’affiliation à la sécurité sociale, conformément à la législation et à la réglementation en vigueur”).

Nous travaillons actuellement avec le ministère du Travail pour mettre en application l’article 11 du décret exécutif 14/69 du 9 février 2014 “fixant l’assiette, le taux de cotisation et les prestations de sécurité sociale auxquelles ouvrent droit les artistes et les auteurs rémunérés à l’activité artistique et/ou d’auteur”. Cet article stipule que les modalités de prise en charge, au titre de la sécurité sociale, des artistes et/ou des auteurs antérieurement à la publication du présent décret, feront l’objet de dispositions particulières, conformément à la législation et à la réglementation en vigueur”. 

Installé en août 2023, le CNAL a fourni un grand effort pour achever l’examen de ces dossiers. Il continue de travailler avec les trois commissions qui préparent les textes d’application du décret.
Quel sera le rapport des artistes avec l’administration fiscale ?
Les artistes vont travailler en se dotant de contrats. C’est le contrat qui définit toutes les obligations et les droits. Par le passé, les contrats étaient gorgés de failles, de vides et de “blancs”. C’est l’exemple de certains contrats établis entre les producteurs de cinéma et le ministère de la Culture et des Arts relatifs au soutien financier à la production de films. Là, avec le nouveau décret, l’établissement d’un contrat est une obligation pour les producteurs et les artistes. Les artistes doivent demander leurs droits, leurs contrats pour se sécuriser. Il y a aussi l’obligation de faire des déclarations fiscales. Des incitations fiscales et parafiscales sont également prévues en faveur des artistes.
Beaucoup d’artistes algériens, pour ne pas dire la plupart, n’ont pas de managers. N’est-il pas venu le temps, avec ce nouveau dispositif, d’encourager les artistes d’avoir des managers pour gérer leurs carrières d’une manière professionnelle ?
Nous le souhaitons mais nous ne pouvons pas imposer aux artistes d’avoir des managers. Pour avoir un manager, il faut qu’il ait du travail avec un marché de l’art. Mais, tout cela est lié. Nous allons évoluer graduellement la mise en application du nouveau statut de l’artiste. Les actions sont complémentaires. Le nouveau dispositif va contribuer à la création d’emplois. Un emploi organisé. Nous voulons un marché du travail organisé pour les artistes avec des textes et des lois. Tout doit être clair. Nous ne voulons pas qu’un artiste arrive jusqu’au ministre pour avoir ses droits. Nous sommes dans un État de droit où tous les citoyens doivent être traités au même niveau des droits et des obligations. 

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