La crise libyenne, c’est aujourd’hui de manière schématique, au plan interne, le gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj reconnu par l’Onu, basé à Tripoli, face à l’armée du général Khalifa Haftar, basée à Benghazi. Mais il il y a aussi, et surtout, des montagnes d’hypocrisie, celles où les États, fauteurs de guerre accusent d’autre États d’être des… fauteurs de guerre.
Les plus “anciens” fauteurs de guerre, ce sont l’Otan (2011), les Etats-Unis, la France, les Emirats, l’Egypte, l’Arabie saoudite. Les “nouveaux”, ou les derniers venus dans le jeu libyen, ce sont la Turquie et la Russie. Les voisins de la Libye à l’ouest, l’Algérie et la Tunisie, assistent eux, impuissants et inquiets, à la complication de la crise libyenne.
La colère de Ghassan Salamé
Ghassan Salamé, l’ancien émissaire de l’ONU en Libye, a dénoncé mercredi dernier, “l’hypocrisie” internationale sur le dossier libyen assurant “ avoir été « poignardé dans le dos par la plupart des membres du Conseil de sécurité« . Ce poignard dans le dos, il le date:. c’est le jour où Haftar a attaqué Tripoli” avec “le soutien de la plupart d’entre eux (les membres du conseil de sécurité, ndlr), alors qu’on était critiqués en Libye pour ne pas l’avoir stoppé« .
Ghassan Salamé sait de quoi il parle. L’attaque contre Tripoli avait été lancée le 4 avril 2019, à quelques jours d’une conférence inter-libyenne qu’il avait longuement préparée. Cette attaque a réduit à néant le processus de règlement sur lequel il travaillait durant une année. L’offensive de Khalifa Haftar a été lancée avec le soutien militaire de l’Egypte, des Emirats arabes unis et de la Russie et de la France. “Des pays importants ont, non seulement soutenu l’offensive sur Tripoli, mais ont comploté sciemment contre la tenue de la conférence nationale » de Ghadamès (sud). « Ils ne voulaient pas qu’elle ait lieu » a indiqué Salamé.
Paris isolé à l’Otan face à la Turquie
La France s’attaque ces derniers temps avec beaucoup de virulence au rôle de la Turquie en Libye et a “suspendu” sa participation à une opération de sécurité maritime de l’OTAN. Paris n’a en effet pas pu faire valoir ses “demandes” à l’égard de la Turquie au sein de l’Otan et s’est retrouvée isolée. Et pour cause, la France en Libye se trouve l’alliée non seulement des Emirats, de l’Egypte, mais aussi de la Russie qui reste, avec la Chine, “l’ennemi” stratégique” aux yeux de Washington et des autres pays occidentaux.
Le président français Emmanuel Macron a accusé la Turquie de mener un “jeu dangereux”. Mais, comme le souligne une analyse du journal Le Monde, en matière de « jeu dangereux», la France n’est pas en reste: “Comment défendre l’idée d’un cessez-le-feu, après avoir tant soutenu politiquement l’une des parties du conflit, en la personne du maréchal Khalifa Haftar, dressé contre un gouvernement reconnu par les Nations unies (ONU) ?”.
Factuellement, la Turquie est intervenue en Libye pour soutenir et sauver un gouvernement, officiellement reconnu par l’ONU, qui était sur le point d’être écrasé par les troupes du général Haftar. Ankara a d’ailleurs beau jeu d’accuser la France de mettre «en danger la sécurité de l’Otan, la sécurité en Méditerranée, la sécurité en Afrique du Nord et la stabilité en Libye« .
Washington dénonce le “flux déstabilisateur” russe
Dernière illustration de cette duplicité, le raid mené le 5 juillet par des avions Rafale sur la base d’Al-Watiya, reprise en mai dernier par les forces du GNA et qui a été le début du repli des forces de Haftar. Même si des analystes penchent pour un raid des Emiratis, l’attaque aurait pu aussi être menée par les égyptiens ou les russes, lesquels au grand dam des américains, s’installent à la base de Joufra.
Washington après avoir été largement “bienveillant” à l’égard du général Haftar s’est remis depuis quelques semaines à s’intéresser au gouvernement d’al-Sarraj. Ce ne sont pas les turcs – cible préférée de Paris – qui inquiètent les américains mais les russes. Washington dénonce désormais le “flux déstabilisateur de Russes », leur « influence nocive” en Libye.
De fait, Moscou, les Emirats et l’Egypte oeuvrent à préserver les positions de Haftar dans l’est du pays après ses revers militaires à l’ouest. Outre les mercenaires russes du groupe Wagner qui apportent un appui aux forces de Haftar, la Russie a déployé des Mig-29 et des Soukhoï-24 sur la base de Djoufra,à 250 kilomètres au sud de Syrte.
De son côté, le président égyptien a cité l’axe Djoufra-Syrte comme une “ligne rouge» dont le franchissement entraînera une intervention de sa part. Les Émirats disposent d’une base aérienne à Al-Khadim, à une centaine de km à l’est de Benghazi. C’est un point névralgique où sont acheminés des mercenaires et du matériel. En face, les turcs entendent s’installer durablement à la base aérienne d’Al-Watiya, qui se trouve près de la frontière tunisienne, et sur la base navale de Misrata.
La ligne de front s’établit désormais à l’ouest de Syrte avec un relatif apaisement, mais le raid mené par des avions émiratis le 5 juillet sur la base d’Al-Watiya est un signe que l’escalade guerrière n’est pas une simple hypothèse. Les Turcs ne comptent pas désarmer et encore moins se retirer. Une riposte est probable. Le GNA a promis d’ailleurs une « réponse au bon endroit et au bon moment ». Il est clair que le statu-quo territorial actuel n’est pas acceptable pour le Gouvernement d’union nationale car l’essentiel des ressources pétrolières se trouve sur le territoire encore sous contrôle du général Khalifa Haftar.
De quoi accentuer les inquiétudes de Tunis et d’Alger dont la capacité à influer sur les événements n’est, hélas, pas significative. Le chef de l’Etat algérien a évoqué récemment sur France 24 la disponibilité de l’Algérie à accueillir une médiation entre les Libyens. Le problème est que les Libyens sont amarrés à des puissances étrangères qui enferment le pays dans la guerre.