Le drapeau de ma mère

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Le drapeau de ma mère
Le drapeau de ma mère
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Le drapeau de ma mère

L’été 62 fut le plus beau des étés. Comment pouvait-il en être autrement puisque c’était l’été de l’indépendance.

Indépendance : un mot qu’on a répété, épelé, caressé, refoulé, imaginé. Le seul qu’ on voulait prendre aux Français contre tout le reste du butin de guerre. Le seul mot qu’ on leur a arraché. Définitivement ? Du moins, tel était notre espoir.

En début de juillet me revient toujours l’image de ma mère, courbée sur sa vieille et encombrante machine à coudre Singer, en train de coudre un drapeau. Quel prix donner à cette image ? Comment estimer les sacrifices qui ont été nécessaires pour qu’ un jeune garçon de quatorze ans assiste à cette scène en apparence banale : ma mère cousant un tissu, un drapeau ? Que de morts, que de massacres, de destructions, de séparations, de déchirements, de violences, de destins brisés, de larmes enfin pour que cette « banalité » devint possible ?

La sérénité de ma mère à l’ouvrage : à quoi pensait-elle à cet instant précis ? Quelle idée se faisait-elle de l’indépendance ? En ce temps-là chacun aspirait à l’indépendance, quitte à manger de l’herbe après. Comme quoi un mouton libre vaut plus qu’ un individu enchaîné. Mais un mouton peut-il être libre ? Toujours est-il que le rêve devint réalité. Quand des millions d’individus rêvent ensemble, le rêve forcément se matérialise. Mais quand le rêve se réalise, cela ne signifie pas que l’on a plus besoin de rêver ou que la réalité est devenue aussi belle que le rêve. Loin de là. Ne dit-on pas d’ailleurs que le désir est supérieur à sa réalisation. « Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France ? ».

Telle était la question posée lors du référendum du 1er juillet 1962. La réponse fut sans appel et l’indépendance proclamée officiellement le 3 juillet ainsi que la reconnaissance de la France . La fête nationale est fixée le 5 juillet. Grand moment que le le lever des couleurs sur le fronton de l’Hôtel de ville.

« Le drapeau cousu par ma mère…une relique quasiment sacrée qu’ on ressortait religieusement à chaque fête »

Le drapeau cousu par ma mère est resté longtemps une relique quasiment sacrée qu’ on ressortait religieusement à chaque fête, attachée à la rambarde du balcon. Il était la preuve que le rêve s’est bien réalisé. Mais il finit par disparaître je ne sais où, remisé dans un placard et oublié, comme d’ailleurs le reste de nos espoirs de ce bel été 62. Rêve, illusions, désillusions. Rêve à la mesure des souffrances ; illusions à la mesure du rêve ; désillusions à la mesure du réel. Terrible trilogie des indépendances.

Jacques Berque disait que l’indépendance, c’est le droit aux problèmes. C’est bien alors le seul droit qui ne nous a jamais été contesté. Les problèmes ont commencé dès les premiers jours de l’indépendance. Quelques années plus tard, une polémique se fit jour pour savoir qui avait cousu le premier drapeau algérien. En ce qui me concerne, j’ai toujours su, sans le moindre doute, que c’est bien ma mère qui a cousu le premier drapeau de l’Algérie indépendante, courbée sur sa vieille et encombrante machine à coudre.

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