Le miroir sanglant de Ghaza: l’instrumentalisation du féminisme à des fins coloniales

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Le miroir sanglant de Ghaza: l’instrumentalisation du féminisme à des fins coloniales
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Depuis le 07 Octobre, l’illusion d’un Occident porteur des Droits humains, droits des femmes inclus, se dissipe avec le soutien « inconditionnel » à Israël[1]. Cette inconditionnalité est allée jusqu’à justifier le génocide en cours à Ghaza, faisant à l’état actuel plus de 30 000 Palestiniens assassinés. Les pays occidentaux sont prêts à soutenir tous les bafouements des droits humains, tant que leur mission coloniale est épargnée. Ils se veulent garants de la liberté d’expression, alors qu’une véritable censure s’est accentuée depuis le 7 Octobre sur les voix pro-palestiniennes. Plusieurs évènements ont été annulés suite à des pressions sionistes, à l’instar de l’annulation du prix de l’écrivaine Adania Shibli en Allemagne en octobre dernier. L’année 2024 a vu l’annulation de la cérémonie de remise du prix Forbes pour femmes récompensant Rima Hassan, juriste franco-palestinienne, ainsi que l’annulation de l’exposition de l’artiste palestinienne Samia Halaby à l’université d’Indiana aux Etats-Unis, entre autres. Tout avantage précédemment accordé peut être retiré ; c’est le cas du prix Simone-Veil retiré à Zineb El Rhazaoui après que cette dernière a dénoncé le génocide commis par Israël.

Cet acharnement peut conduire aux pires maltraitances, comme ce qu’a subi la militante palestinienne féministe et anticoloniale Mariam Abu Daqqa, frappée par la police française à Paris en novembre dernier et expulsée pour avoir défendu le droit à une terre libre.

Notre parole en tant que féministes arabes est accueillie, voire applaudie en Occident, de par la difficulté des luttes que nous menons, mais cela tant que nous taisons le racisme et le colonialisme. S’il est primordial de dénoncer le patriarcat traditionnel et religieux, il est important que cette critique n’essentialise pas une population. Nombreux sont les exemples de bafouement des droits des femmes dans le monde, et les droits acquis sont constamment menacés; cela a été grandement illustré par la  présidence de Trump, qui a remis en avant un conservatisme religieux faisant reculer grandement les droits des femmes aux Etats-Unis. Si le niveau des droits n’est pas le même selon les pays et les sociétés, il en reste que nous vivons dans un seul monde, patriarcal, classiste et capitaliste, comme le précisait la féministe égyptienne Nawel El Sadawi.

Entre la misogynie et le racisme

Dans une interview entre la journaliste britannique Julia Hartley-Brewer et le Dr Mustafa Barghouthi, médecin et homme politique palestinien en janvier, ce dernier expliquait la guerre commise par Israël à Ghaza et le contexte actuel. La journaliste n’a cessé d’interrompre Dr Barghouthi jusqu’à lui crier avec colère “peut-être que vous n’êtes pas habitué à ce que les femmes parlent”. C’est pourtant cette journaliste qui n’est pas habituée à ce que les Palestiniens s’expriment. De nombreuses féministes occidentales ont saisi l’occasion pour s’élever contre l’immigration, le collectif français Nemesis « pour la protection des femmes contre les violences » a affirmé que « La France ne doit pas accueillir de Palestiniens » en mettant en avant des cas de « ce que font déjà subir des ressortissants palestiniens en Europe » (propos diffusés sur les réseaux sociaux et médias). Les femmes qui soutiennent la colonisation, ont par le passé et encore aujourd’hui, été utilisées pour les missions d’assimilation : l’homme colonisé serait rétrograde et une menace pour les femmes colons, la femme colonisée serait soumise et à sauver de l’homme colonisé.  Que cela soit clair, la condition des femmes colonisées ne les intéresse pas. Car lorsqu’un peuple colonisé est désigné comme inférieur, les femmes colonisées le sont tout autant.

Depuis le 07 Octobre, de nombreuses féministes occidentales ont exprimé leur soutien à Israël. En février dernier, la ministre française pour l’Égalité, Aurore Bergé, a déclaré que les associations féministes qui auraient un discours ambigu dans les condamnations des attaques du Hamas du 7 Octobre verraient leurs subventions supprimées. Toutes les associations soutenues financièrement seront passées « au crible », selon les déclarations de la ministre. Le message est limpide : rien ne doit entraver Israël.

Dans une tribune publiée en novembre dans le journal Libération en France, les signataires appellent à qualifier les évènements du 7 Octobre comme un féminicide de masse. On y lit que des cadavres de femmes ont été violés, des bassins fracturés suite à des viols, des photos et vidéos sont évoquées. Or, il n’y a eu aucun témoignage de personnes présentes. Ces informations ont circulé au même moment que celles concernant les prétendus quarante bébés décapités qui ont fait le tour du globe, pour être ensuite démenties. La propagande est simple : « seul le « Hamas » viole, et il faut par conséquent éradiquer la population de Ghaza ». Une indignation à sens unique, quand on connaît les affaires d’agressions sexuelles et viols dissimulés dans les pays occidentaux. De nombreux Israéliens déclarent dans des vidéos instagram et tiktok que « ces terroristes tuent même leurs femmes, vous ne pouvez pas les soutenir ». En France chaque année, plus de 100 femmes sont assassinées par leur partenaire ou ex-partenaire, aucune mesure concrète n’est prise pour prévenir ces féminicides. Que faut-il faire selon cette même logique ?  Comme Israël fait à Ghaza ?

Nous gardons en mémoire le groupe de soldats de l’armée israélienne posant en selfie avec un sourire, au milieu d’une ville en ruines, où il y avait probablement encore des cadavres enclavés. Nous gardons en mémoire les soldats qui pillent les maisons bombardées et volent les biens des Palestiniens dont les bijoux des femmes. Nous gardons en mémoire les soldats israéliens se filmant dans des maisons à moitié détruites, avec des sous-vêtements de Palestiniennes accrochés sur le mur, ou portés par les soldats. Palestiniennes chassées, violées, tuées. Les soldats se moquent, sourient, se montrent fiers et « partagent » leur « butin ». Ils dominent.

 Ils terrorisent. 

Nombre de ces soldats ont une double nationalité. Après les Etats-Unis, La France est la deuxième nationalité étrangère la plus représentée dans les rangs de l’armée israélienne. Le ministre de la défense israélienne Yoav Galant a déclaré en octobre que « Hamas is ISIS » (Hamas est Daech). Si le fait de commettre des actes terroristes comme larguer des bombes, tirer sur des innocents, les torturer, filmer cela et en être fier est un acte de Daesh, alors Israël fait exactement pareil. L’armée la plus immorale du monde.

Situation des femmes à Ghaza et en Cisjordanie

Dans un article publié par des expertes de l’ONU, ainsi que des témoignages publiés par Euromed monitor en février, il est rapporté que des femmes et des enfants sont délibérément ciblés par les attaques israéliennes, même lorsqu’ils élèvent un tissu blanc pour se rendre inoffensifs. Selon le même rapport, des centaines de femmes et de filles mineures dont des journalistes et des défenseuses des droits humains sont emprisonnées dans les geôles israéliennes. Elles sont privées de nourriture, de toilettes et de protections menstruelles. Les soldats israéliens les mettent parfois dans des cages, les battent, les agressent sexuellement et violent certaines d’entre elles. Les hommes Palestiniens subissent également des tortures, sont mis à nus et mis dans des cages[2],[3]. Les femmes enceintes ne sont pas épargnées. La militante Anhar Al Diq, de Ramallah, arrêtée le 08 mars 2021, était enceinte de trois mois et a donné naissance à son enfant en prison, pour être ensuite assignée à résidence. Traumatisée par les tortures physiques et psychologiques qu’elle a subies, elle a souffert de dépression jusqu’à sa mort le 10 février 2024, où elle est tombée du toit de sa maison. Baseel Khaled Abu Hameed, une femme de 28 ans de Cisjordanie, a été mise en détention en février bien qu’enceinte de quatre mois, pour forcer son mari à se rendre.

Israël a bombardé plusieurs hôpitaux, dont l’hôpital Al-Ahli et Al-Awda, tuant des médecins, infirmiers, ambulanciers, patients. Des amputations urgentes sont pratiquées sans anesthésie. De nombreuses femmes enceintes font des fausses couches, ou des grossesses compliquées, par manque de moyens, elles en meurent. Le lait maternisé pour nouveau-nés est en manque, ces derniers meurent de malnutrition. L’aide urgente aux personnes blessées est empêchée par Israël, ceux qui essaient de porter secours sont eux aussi assassinés. 

Face à cette grande crise humanitaire, les associations féministes palestiniennes qui travaillaient à la réinsertion des femmes anciennement détenues, à dénoncer la misogynie dans leur société, dont le harcèlement sexuel, les viols et les féminicides, sont aujourd’hui mobilisées pour la survie de la population de Ghaza, et la défense face aux attaques coloniales en Cisjordanie.

Situation des femmes en Israël

Israël a œuvré pour se donner une image garante des droits des femmes et des minorités. En vrai, il n’en est rien. Tout d’abord, un gouvernement qui commet un génocide ne peut être garant des droits humains, ensuite, avec un gouvernement composé de dirigeants d’extrême droite et d’Ultra-orthodoxes, l’égalité entre hommes et femmes ne peut être conservée. En Israël, les affaires familiales ne sont pas régies par des lois civiles, mais par des lois religieuses, avec en premier les lois juives. Ainsi le tribunal rabbinique, tenu exclusivement par des hommes fondamentalistes, juge les affaires familiales. Il peut accorder le droit au divorce à l’homme sans conditions, mais pour la femme des conditions sont nécessaires.

En Israël, la GPA (Gestation Pour Autrui) et le recours aux mères porteuses est légal depuis 1996. Il est possible de « louer » l’utérus d’une femme, en justifiant cette pratique par des textes bibliques[4], rendant ainsi la dystopie « La servante écarlate » réalité.

Israël se vante d’avoir une armée égalitaire, le service militaire est obligatoire pour les deux sexes. Toutefois, toute désobéissance ou refus d’effectuer ce service est passible d’emprisonnement. De plus, l’égalité ne doit pas s’inscrire dans la discrimination, une armée qui commet un génocide ne peut être égalitaire.

Si Israël renvoie au monde une image de libération, ce n’est que le fait d’un système libéral. Comme dans le reste du monde, une grande partie des femmes israéliennes portent le poids des traditions, et le conservatisme religieux reste très ancré. Des conditions qui ne sont pas à envier, et similaires à de nombreux pays.

Pays arabes et normalisation avec Israël, mais pas avec les droits des femmes

Dans les pays Arabes, les Etats arguent l’importance de maintenir la condition actuelle des femmes pour « conserver la famille et les traditions »; plusieurs de ces Etats qui avancent le conservatisme pour entraver tout  changement positif des sociétés, courbent l’échine en maintenant des relations diplomatiques avec Israël. L’islam et ses principes disparaissent soudainement lorsqu’il s’agit des Accords d’Abraham qui ont visé à normaliser les relations entre Israël et les Emirats Arabes Unis, le Bahrein, le Soudan et le Maroc en 2020. Pour cause : la religion n’est utilisée en politique que pour les intérêts des pouvoirs en place. Les pays arabes se sont entendus sur les trois « non » : non à la reconnaissance d’Israël, non à la négociation, non à la paix en 1967 à Khartoum. L’Egypte est le premier pays à avoir bafoué ce « non » 12 ans plus tard. Le « non » face à Israël semble plus dur à maintenir que le « non » face aux droits des femmes, qui est catégorique et autoritaire.

L’infériorité des femmes face aux hommes a été institutionnalisée dans de nombreux pays arabes, principalement sous les codes du Statut personnel. Aujourd’hui, en Algérie, cela fait quarante ans que le Code de la Famille a été promulgué[5]. Si la lutte contre le code de « l’infamie » n’est plus aussi acharnée que celle qui a menée aux amendements de 2005, elle reste toutefois présente, et pourrait mener à l’avenir vers des lois civiles égalitaires. Nous avons pu nous libérer du joug colonial après 132 ans d’occupation. Nous pourrons, tôt ou tard, nous affranchir du Code de la famille. 


[1] Propos tenus par la présidente de l’Assemblée nationale française Yaël Braun-Pivet le 10 octobre 2024

[2] Israel/oPt: UN experts appalled by reported human rights violations against Palestinian women and girls https://www.ohchr.org/en/press-releases/2024/02/israelopt-un-experts-appalled-reported-human-rights-violations-against

[3] New testimonies detail torture and abuse of Gazan detainees in Israeli jails, detention centres https://euromedmonitor.org/en/article/6138/New-testimonies-detail-torture-and-abuse-of-Gazan-detainees-in-Israeli-jails,-detention-centres

[4] Saraï, femme d’Abraham, qui lui demanda d’avoir un enfant avec sa servante Agar (Genèse 16.1 & 16.2), et Rachel, femme de Jacob, qui lui demanda d’avoir des enfants avec sa servante Bilha (Genèse 30.1 à 30.5).

[5] Le Code de la Famille a été adopté à huit clos le 09 juin 1984 sous le gouvernement de Abdelhamid Brahimi et la présidence de Chadli Bendjedid

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