Couleurs criardes, voire phosphorescentes, support improbable, des œuvres qui font écho à notre société, l’univers artistique de Yasmine Bourahli est particulièrement singulier. Pop art, collage, récup-art, et bien d’autres influences forgent son identité. Ses œuvres, esthétiques, et fortement éclectiques démontrent que son unique mot d’ordre est de tenter constamment de nouvelles choses.
La profusion de la création et le large répertoire des sujets abordés dans chacune des œuvres de Yasmine Bourahli, démontrent d’emblée que la jeune artiste est parfaitement épanouie dans son art. Dans sa galerie-atelier, située à la cité Sahraoui, Yasmine produit, expose et vend des œuvres tout en couleurs signées “Jas’Art”.
Yasmine peint, fait de l’artisanat, transforme des objets, redonne une seconde vie aux déchets, fait du collage et du Doodle art, sa démarche artistique est sans frontières.
“Je m’ennuie très vite et il s’avère que c’est une qualité. C’est ce qui m’a permis de m’embarquer, à chaque fois, dans de nouvelles expériences. Je suis autodidacte, donc je crée au gré de mon inspiration et de mes influences. Il y a une partie de moi dans chacune de mes œuvres, mes tendances musicales, mes préoccupations environnementales, mon algérianité, toutes ces composantes et bien d’autres, sont toujours présentes dans ce que je crée”, précise Yasmine.
Dans le petit espace qui accueille ses créations, on est particulièrement attiré par ces grands classiques revisités. L’autoportrait de Van Gogh rebaptisé “Convoitise”, la scène du baiser de Klimt inversé, où l’on voit la femme enserrer la tête de son compagnon, la Gitane avec une cigarette d’Edouard Manet devient “Berbère girl”. Yasmine détourne ces symbole populaires et fait passer ses propres messages.
Des objets artisanaux soigneusement exposés sur des étagères, révèlent le côté manuel de Yasmine. Des vide-poches, des cartes postales en bois, des tote-bags, calepins, bougeoirs, porte-clés…etc. “Quand un tableau se vend, je décline le dessin dans de petits objets comme ces tote-bags, les cartes postales en bois ou encore les calepins pour permettre à tous de s’acheter mes créations lors d’une visite”, souligne Yasmine.
Le parcours de Yasmine est assez atypique. Son aventure artistique commence en 2012 quand une amie l’entraine dans un atelier de peinture sur verre.
Formée en marketing, Yasmine a, tout de même, baigné dans un milieu où l’ont porte un intérêt à l’art. Depuis son jeune âge, Yasmine dessine. Elle prend aussi des cours de musique, fait du solfège et envisage même de poursuivre des études à l’École des beaux-arts.
“Pour mon père on ne peut pas vivre de son art et c’est vrai. C’est pour cela que j’ai poursuivi des études de marketing. J’ai ensuite lancé avec mes frères une entreprise de production audiovisuelle. En 2012 je me suis inscrite à des cours de peinture sur verre et c’est cette expérience qui a fait renaitre cette fibre artistique en moi”, raconte Yasmine.
Dans cet atelier de peinture sur verre, Yasmine assimile très vite les techniques. Elle aime créer de ses mains et au fil du temps ce hobby devient une vraie passion. Elle loue un petit espace et reproduit en série ce qu’elle apprend pendant ses cours.
“Je faisais de petits objets pratiques et décoratifs. C’était vraiment pour m’amuser. J’en faisais pour mes proches jusqu’au jour où une amie me conseille de créer une page sur les réseaux sociaux. Très vite, on me sollicite pour des commandes. En fin d’année 2012, j’expose pour la première fois mes créations pendant un mois. Je me souviens que tout s’était vendu. C’est là que je décide de me lancer sérieusement. En 2013, je m’installe dans cette atelier-boutique”, se souvient Yasmine.
Yasmine Bourahli peint sur du verre, du métal, des miroirs, des paraboles, du Forex et affectionne particulièrement la peinture sur bois. Une matière, qui, selon elle, vieillit parfaitement . “C’est une matière qui vieillit tellement bien. Avec le temps les couleurs changent de teinte, et on a l’impression que l’œuvre est vivante. Pour le travail artistique, le bois est pratique, il absorbe les couleurs, on peut le poncer avec du papier verre si on veut arranger le dessin, et l’œuvre peut être protégée grâce à l’huile de lin qu’on applique dessus et qui donne des reflets de couleurs très esthétique”, explique Yasmine.
Yasmine peint sur différents formats, sa plus grande œuvre est actuellement exposée à l’institut Français d’Alger. ” Les grands formats me permettent de m’exprimer librement. Ma plus grande œuvre est exposée à l’institut français que j’ai réalisé récemment à l’occasion de la nuit des idées 2021. La scène du baiser de Klimt, disloquée en trois panneaux, dont chacun fait 1m20 sur 2m50″, détaille Yasmine.
Cette grande fresque regroupe toutes ses tendances, collage, dessin, peinture. C’est aussi une œuvre participative. Yasmine a lancé un appel sur les réseaux sociaux invitant les gens à venir laisser une touche personnelle dessus. “C’est une expérience humaine enrichissante. J’aime partager et j’estime que c’est l’essence même de l’art. C’est pourquoi j’implique ma communauté dans tout ce que je fais”, confie Yasmine.
Récup & transformation
Redonner une seconde vie à des objets, les transformer en des objets décoratifs et utiles, est une autre expression artistique que Yasmine maitrise. Elle transforme les bouteilles en plastique en vide-poche ou amplificateur de son, des boitiers VHS en pochettes, Elle peint sur des paraboles et des palettes de fruit en bois, et donne ainsi une dimension éco-responsable à son art.
“Les bouteilles en plastique qu’on trouve en quantité dans la nature et qui polluent, on peut en faire, des vide-poches solides et décoratifs. Je prends la partie inférieure de la bouteille en plastique, je coule dedans du béton et du plâtre, je laisse sécher et le tour est joué. Je fais aussi des bacs de rangement en bois récupéré. Je couvre les vieux boitiers VHS avec du tissu wax et ça donne de jolies pochettes. Tout est possible il suffit de tenter”, raconte Yasmine.
Sa série “tableau-palette” a fait l’objet d’une exposition. Yasmine a peint les portraits de Jimi Hendrix, Frida Kahlo, Hitchcock, Tupac sur des palettes en bois de fruits et légumes.
“On peut créer de tout. La matière première on peut la trouver dans la nature, il suffit juste de ne pas imposer des frontières à sa créativité”, affirme cette jeune femme.
Trash & engagé
Yasmine dit qu’elle s’inspire énormément de la démarche artistique de Banksy, particulièrement son coté provocateur pour éduquer et sensibiliser. Elle revisite son œuvre d’art urbaine “la petite fille au ballon” qu’elle rebaptise “Garbage” qui signifie ordures. Yasmine remplace le ballon de la petite fille par un sachet et des déchets pour sensibiliser à l’environnement et le bien-être de la planète.
“Quand j’ai exposé cette œuvre, j’ai suspendu des bavettes et plein d’ordures pour mettre les personnes en situation. L’idée est d’être trash pour que le message soit aussi choquant que le danger qui menace la planète”.
Les messages que transmet Yasmine en revisitant les grands classiques varient. Si on prend la jeune fille à la perle de Vermeer, l’artiste l’a nommé “Nakupenda”, qui signifie je t’aime en Swahili. Le visage de la fille de Vermeer est plein du vitiligo et sur son bras est dessiné le continent africain. “Le message est simple: quelle que soit la couleur de ta peau ou ta maladie, je t’aime. C’est une façon de lutter contre la montée en puissance du racisme dans le monde”.
La Vague d’Hokusai est revisitée pour dénoncer les dangers de l’immigration clandestine. On voit trois barques prises au piège au creux de la vague. Yasmine l’a appelé “La Niberti”, pour dire à ces jeunes de ne pas partir vers un avenir incertain, et que la vague peut les emporter à jamais.
Toutes ces métaphores qui ressortent du travail artistique de Yasmine démontrent que son art est engagé. L’esthétique et le travail bien fait sont autant de valeurs que véhicule chacune de ses créations.
[…] réutiliser un matériau préexistant au profit d’un nouveau dispositif sémiotique, d’une nouvelle narration plus proche de la réalité des personnes . il permet d’introduire la dérision voire l’ironie, […]