Ahmed Bedjaoui, critique et universitaire : »A Hollywood, les producteurs voulaient des scénarios légers alors que les écrivains avaient des idées plus élaborées »

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Ahmed Bedjaoui, critique et universitaire :"A Hollywood, les producteurs voulaient des scénarios légers alors que les écrivains avaient des idées plus élaborées"
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L’universitaire et critique Ahmed Bedjaoui était présent au 26ème Salon international du livre d’Alger (SILA), qui s’est déroulé du 25 octobre au 4 novembre 2023, pour présenter son nouvel essai, « F.Scott Fitzgerald et ses contemporains face à Hollywood », publié aux éditions Casbah à Alger. L’américain F.Scott Fitzgerald est auteur de cinq romans, tous célèbres, écrits entre 1920 et 1941. Il s’agit, entre autres, « L’envers du paradis », « Tendre est la nuit » et « Le dernier nabab » (The Last Tycoon). Il a écrit également une vingtaine de recueils de nouvelles dont « Tales of the Jazz Age » (Contes de l’ère du jazz), « I’d Die For You. And Other Lost Stories » (Je me tuerais pour vous. Et autres nouvelles inédites) et « All the Sad Young Men » (tous les jeunes hommes tristes). 


24H Algérie: Vous venez de publier l’essai « F.Scott Fitzgerald et ses contemporains face à Hollywood ». Pourquoi cet intérêt pour l’un des écrivains américains les plus connus au monde ?


Ahmed Bedjaoui: Au départ, j’ai découvert F.Scott Fitzgerald et son oeuvre « The Great Gatsby » (Gatsby le Magnifique, parue en 1925) lorsque je préparais ma licence d’anglais à la faculté d’Alger au début des années 1970. C’était le coup de foudre pour moi. Après, j’ai fait un DEA et un doctorat sur Fitzgerald à Hollywood. J’ai vu, à travers lui, les rapports souvent conflictuels entre des écrivains et la machine hollywoodienne. Fitzgerald a écrit des romans et des nouvelles. Il publiait ses nouvelles dans de grandes revues et dans de grands journaux comme The Saturday Evening Post. Il était bien payé et vivait de ses écrits.


Il a été appelé à Hollywood dans la deuxième moitié des années 1920 pour contribuer à l’écriture des scénarios…

Oui. Dans le livre, je raconte justement ses rapport avec les producteurs hollywoodiens. Des personnes compliquées. J’ai évoqué aussi d’autres écrivains de sa génération comme William Faulkner. Faulkner, qui était un grand ami du réalisateur Howard Hawks (auteur notamment de films tels que « Les hommes préfèrent les blondes » et « Rio Bravo »), voulait gagner de l’argent pour financer sa ferme à Oxford au Mississippi. Je raconte aussi l’histoire d’Ernest Hemingway qui avait couvert la guerre civile en Espagne (1936-1939, le roman « Pour qui sonne le glas » est inspiré de ce conflit). Et, je n’ai pas publié aussi Raymond Chandler (auteur de roman noir). Toute cette génération de brillants écrivains était très engagée. Ils avaient créé une véritable littérature américaine libérée de la nurserie européenne. Avant eux et avant la Première Guerre mondiale, les écrivains américains étaient rattachés à la tradition anglaise. Avac Fitzgerald et les autres, la littérature était devenue plus ancrée dans la réalité américaine à partir des années 1920, les années folles. Ils avaient écrit sur la corruption du rêve américain, divergé aussi au point que Fitzgerald était devenu un adepte du marxisme.


Pourquoi ?

D’autres écrivains comme lui étaient devenus des marxistes par opposition au capitalisme conquérant, dominant et arrogant de l’Amérique de l’époque. J’ai montré dans le livre l’installation d’une véritable machine dans les studios d’Hollywood avec des grandes compagnies dirigées pour la plupart par des juifs Self-made man. Ils étaient venus du monde du spectacle, du cirque, des saltimbanques qui ont fait de l’argent en racontant des histoires. Ils voulaient des histoires simples, basiques qui donnent du spectacle aux gens surtout à l’époque du cinéma muet. A cette époque, des gens, des migrants venus d’ailleurs comme pour les Italiens, ne connaissaient pas bien l’anglais.


Au début des années 1930, arrivait le cinéma parlant. Il fallait que les dialogues soient en anglais. Les producteurs s’étaient retournés vers les écrivains. D’où le malentendu. Les écrivains avaient des standards très élevés, éloignés de ceux de ces producteurs. Fitzgerald avait été accusé d’antisémitisme parce qu’il avait critiqué les producteurs, accusés d’être des adeptes de la dégardation de la pensée.


D’où le choc…

Oui, un choc frontal, culturel. Fitzgerald, connu pour être un brillant ciseleur de mots, avait participé à l’écriture de scénarios d’au moins dix huit films dont « Autant en emporte le vent » (de Victor Fleming, sorti vers 1939). Il n’a été cité au générique qu’une seule fois parce que les producteurs, qui faisaient du commerce dans ce qui était appelé le système de production de masse, sollicitaient les écrivains, chacun corrigeant l’autre sans que l’un ou l’autre le sache. Et finalement, les scénarios étaient signés par des inconnus. Les producteurs voulaient des scénarios légers, des rigolades basiques, alors que les écrivains avaient d’autres idées plus élaborées, plus profondes. Donc, ça ne marchait plus. Les écrivains s’étaient éloignés d’Hollywood en dénonçant ses méthodes et ses pratiques.

Fitzgerald avait écrit « Le dernier nabab » (en 1941) pour dénoncer la petitesse des gens d’Hollywood. Ce roman fut adapté au cinéma en 1976 par Elia Kazan avec Robert De Niro (qui a interprété le rôle de Monroe Stahr, un directeur de production à Hollywood en perte de vitesse). Le film a rassemblé également d’autres acteurs comme Robert Mitchum, Teresa Russell et Jack Nicholson. Nathanael West a, pour sa part, écrit le roman « The Day of the Locust » (« L’Incendie de Los Angeles », paru en 1939). Il y a eu aussi le roman « On achève bien les chevaux » de Horace Mccoy (adapté au cinéma par Sydney Pollack en 1969). Mon livre entre dans les coulisses d’Hollywood, dans la dark side (face sombre) de ces studios.


D’où le titre « Fitzgerald face à ses contemporains »

Je ne me limite pas à Fitzgerald. J’ai cité tous les autres écrivains à l’image de Faulkner, Hemingway et West et leurs rapports avec Hollywood…Des écrivains qui avaient remis en question le rêve américain. Ils étaient les premiers à dire que ce rêve était frelaté, avaient alerté sur quelque chose que nous vivons aujourd’hui. Ils étaient des anticipateurs qui ont été réprimés. Les producteurs d’Hollywood étaient pour la plupart à droite, très conservateurs, et les écrivains étaient des radicaux de gauche.


Finalement, le rapport de Fitzgerald avec Hollywood résume bien l’histoire entre la littérature et le cinéma

J’évoque la problématique de l’adaptation. Existe-t-il une adaptation ou faut-il parler de transposition? Il s’agit de deux mondes différents. Je prends l’exemple du feuilleton El Hariq (l’incendie) de Mustapha Badie, produit en 1974 (adapté de deux romans de Mohammed Dib). Au départ, la commande était relative à un film d’une heure et demie pour le 30ème anniversaire du déclenchement de la Révolution de 1954. Finalement, en travaillant avec Abdelhamid Benhadouga, Badie avait choisi de réaliser un feuilleton de douze épisodes pour raconter toute l’histoire de façon à ne pas trahir. Choisir, c’est trahir. Lorsque vous vendez les droits des films vous vous délaissez de la propriété de votre œuvre. On ne raconte pas un livre qui se lit en plusieurs semaines dans un film d’une heure et demie.


Vous avez aussi préfacé l’essai « L’Algérie dans le cinéma de Merzak Allouache » de Nabil Boudraa, paru dernièrement aux éditions Chihab, à Alger…


J’ai d’abord traduit ce livre de l’anglais avant d’écrire la préface de cet essai écrit par mon ami Nabil Boudraa qui enseigne à l’université d’Oregon aux Etats unis. Pour moi, Merzak Allouache a cette particularité d’avoir une carrière malgré les hauts et les bas. Ce qui me désole dans le cinéma algérien est le fait d’être un cinéma d’un seul film. Par exemple, Farouk Beloufa a réalisé un film-culte « Nahla » (1979), mais qu’a-t-il fait après ?

Pour Mohamed Bouamari, c’était « Le charbonnier » (1973). On ne retient pas d’autres films après cette fiction de ce réalisateur. Même chose pour Amar Laskri, pas de films notoires après « Patrouille à l’Est » (1971). Ce syndrome du « film unique » n’existe pas chez Allouache. Il a déjà réalisé une trentaine de films et téléfilms en dressant à chaque fois un miroir devant la société algérienne.

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