Wahid Achour, metteur en scène: “Nous avons une crise d’idées”

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Wahid Achour, metteur en scène: "Nous avons une crise d'idées"
Wahid Achour, metteur en scène: "Nous avons une crise d'idées"
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Wahid Achour, metteur en scène et comédien, était membre du jury du 14e Festival national du théâtre professionnel (FNTP), qui s’est déroulé à Alger du 11 au 21 mars 2021. Il a également assisté au 9e Printemps théâtral de Constantine entre le 27 mars et le 3 avril 2021.

Formé en Allemagne, Wahid Achour est un des fondateurs de la troupe El Belleri à Constantine en 1998.

24H Algérie : Vous avez assisté aux pièces présentées lors du 14 ème Festival national du théâtre professionnel (FNTP) et lors du 9e Printemps théâtral de Constantine. Quel regard portez vous sur ces productions ?

Wahid Achour: Mon constat est que nous avons une crise d’idées. Je parle de la création et je pense à une nouvelle dimension pour relire notre réalité. Je sais qu’on s’inspire de la réalité mais quand on arrive à transposer cette réalité sur scène, il faut la transgresser.

Pourquoi ?

Pour ouvrir une nouvelle dimension sur le plan scénique. L’intérêt de l’acte théâtral en dépendra. Dans le monde entier, les artistes sont les locomotives du train social. A travers leurs observations profondes, ils ouvrent de nouvelles brèches. Ils alertent les récepteurs, les spectateurs, en montrant la manière avec laquelle ils voient la réalité. Les spécialistes, psychologues, sociologues, médecins, politiques n’interviennent qu’après.

L’intérêt de l’art dans la vie des citoyens est à ce niveau-là. En Algérie, une partie de la société estime que le théâtre n’est pas crédible. Parce qu’elle ignore scientifiquement et pratiquement l’intérêt du théâtre dans sa vie. Une personne n’adhère pas lorsqu’elle ne sente pas son intérêt dans une chose. Le football, par exemple, est populaire parce qu’il peut être joué partout, juste à proximité des gens.

Que faut-il alors faire ?

L’une des solutions est d’introduire le théâtre comme une matière scolaire enseignée et notée. Une matière comme les autres. L’élève n’accorde pas de l’importance à une matière non notée. L’enseignement du théâtre doit être assuré par des instituteurs formés à cela. Il ne s’agit pas de former des comédiens, mais des spectateurs initiés. Avec le temps, les élèves vont aimer le théâtre.

Qu’est-ce qu’on peut apprendre avec le théâtre à l’école ?

Dans la cybernétique, la science qui s’intéresse aux mécanismes de fonctionnement et de communication cérébraux, on étudie “l’éveil” du cerveau. Abu Bakr Ibn Tufayl (philosophe et mathématicien andalous) évoque “l’éveillé” dans ses textes. Un citoyen non éveillé ne peut pas être rentable en société. Au contraire, il deviendra une charge pour sa société. Eveillé, cela veut dire que la palette de réflexion cérébral est prête à recevoir les données extérieures. Pour l’enfant, le cerveau peut assimiler ce qui lui vient de l’extérieur. A ce moment là, le cerveau passe à l’action. C’est prouvé scientifiquement, le cerveau commence à chercher des solutions aux problèmes.

Actuellement, à l’école, le cerveau des élèves est endormi. C’est pour cette raison qu’on ne peut pas former les citoyens actifs et efficaces de demain. Et, il faut noter, qu’en Algérie, les élèves ne s’intéressent pas aux mathématiques et à la physique parce qu’ils ne voient leurs intérêts dans leur vie quotidienne. Aux enseignants d’expliquer l’intérêt de ces matières. L’analyse mathématique fait réveiller le cerveau de l’élève.

Nous disons aux comédiens lors des formations qu’il existe deux éléments fondamentaux en eux : le cerveau et le cœur. Et, nous oublions souvent l’âme. L’âme intervient d’une manière décisive dans la création. Cela a été ignoré par les grandes écoles du théâtre (l’appel à l’inconscient existe dans certains travaux d’Ariane Mnouchkine, Constantin  Stanislavski et Jerzy Grotowski, NDLR).

On évoque souvent, dans le milieu du 6ème art, l’absence de textes. Cette crise existe-t-elle réellement ?

Il y a une profonde crise de textes. Pas forcement dans l’écrit, mais dans la capacité à donner une autre manière de traiter les problèmes. La spécificité du texte théâtral est qu’il a une profondeur dramaturgique et dramatique. On ne peut, par exemple, transposer crûment dans un texte dramatique les mots puisés dans le réel. Cela donne un résultat superficiel.

Quand on écrit pour le théâtre, il faut choisir ses mots. Il est nécessaire de réécrire à plusieurs reprises un texte pour lui donner la profondeur qu’il faut.

Il y a une forte tendance à l’adaptation d’autres textes, surtout étrangers, au théâtre en Algérie. Comment l’expliquer ?

Il y a deux cas. Le premier est que l’adaptateur laisse le texte tel qu’il est. Le deuxième est qu’il essaie de l’algérianiser. En algérianisant un texte étranger, on passe parfois à côté de la profondeur et on tombe dans le superflu. Il y a un autre problème : on traite de plusieurs thèmes dans une seule pièce, ce qui est impossible.

On veut tout traiter dans un seul spectacle pour plaire au public…

Oui, c’est un signe de précipitation dans l’adaptation et dans la mise en scène. Le metteur en scène a une grande part de responsabilité dans la conception du spectacle. Dans toutes les grandes œuvres du théâtre mondial, on développe qu’un seul thème sans aborder tous ses aspects.

Faut-il que les créateurs “descendent” au niveau des citoyens ordinaires? Ou appartient-ils aux gens du théâtre de donner leurs mains aux citoyens pour le tirer vers le haut? De mon point de vue, les professionnels du théâtre doivent s’approcher du public et le pousser vers le haut. Je ne dis pas que nous sommes différents, meilleurs ou supérieurs par rapport aux citoyens…

Certains metteurs en scène ne pensent qu’à faire rire le public dans leurs spectacles…

C’est aberrant. Molière faisait rire les gens et le roi par ses écrits profonds. Faire rire les gens d’une manière simple, facile et, au premier degré, ne sert ni le théâtre ni les citoyens.

Il y a également une tendance au discours direct sur scène

Pour moi, c’est moche. Ce n’est pas la vocation du théâtre. La vocation du théâtre, c’est la beauté, l’esthétique et l’éblouissement. Quand on n’est pas ébloui, contrarié et poussé à nos limites dans un spectacle, il faut revoir la fonction du théâtre.

Pourquoi le théâtre est dangereux, fait peur aux politiciens ? C’est à cause de cela. Quand un artiste se lance dans le vide, il commence à créer réellement. L’expérience commence lorsque l’artiste dit : “je ne sais pas où je vais”. Il faut surprendre l’autre !

Il est connu qu’un spectateur ne suit plus une pièce lorsqu’il sait où le metteur en scène veut le mener à travers l’interprétation des comédiens, les couleurs, l’esthétique, la scénographie et la musique. Le spectateur prend à la légère ce qu’il voit. Aussi, faut-il déséquilibrer et étonner l’autre, le spectateur.

Nous avons remarqué que les metteurs en scène font appel à plusieurs écoles de théâtre (absurde, abstrait, classique, satire, grotesque, comédie noire, tragédie, pauvre…) dans une même pièce. Veulent-ils étonner, impressionner ?

Nous avons effectivement relevé que les metteurs en scène ne font pas des choix clairs. Il y a ce qu’on appelle l’unité de mise en scène, autrement dit un choix clair et une maîtrise de la forme. Une maîtrise philosophique, esthétique et artistique. Quand la forme échappe au metteur en scène, il commence à faire n’importe quoi. C’est une erreur grave de la part des metteurs en scène. C’est le texte qui définit la forme et pas le contraire, sinon on tombe dans “le bourrage”.

Wahid Achour est aussi membre fondateur du théâtre El Belliri de Constantine. Que vous a apporté cette expérience?

J’ai appris beaucoup de choses au théâtre El Belleri. Choses que je n’ai pas trouvé dans les autres troupes. J’ai lu dans un livre ceci : “avant de monter sur scène, il faut être un homme avec un grand H”. Aujourd’hui, les théâtres publics et les troupes ont besoin d’un meneur d’hommes. Il faut qu’il y ait nécessairement de l’entente et de l’amour entre les membres des troupes. Sans cela, on ne peut pas travailler ni créer.

Quand je joue sur scène avec un comédien que je n’aime pas, le spectacle échoue, ne trouve pas d’écho auprès du public. Au Belleri, nous avons choisi de garder les mêmes comédiens pendant des années (depuis la fin des années 1980) pour éviter d’avoir des intrus qui peuvent créer des frictions à l’intérieur du groupe. Actuellement, la troupe est composée de dix membres entre comédiens et metteurs en scène.

Vous vous êtes plaints de  marginalisation dans le mouvement théâtral à Constantine. Que se passe-t-il ?

Cela fait mal au cœur, mais je peux dire que je suis marginalisé. Je ne sais pas pour quelle raison. J’essaie de comprendre. Je suis un pacifiste dans ma vie, tranquille et modeste. Je ne suis pas un homme qui dérange. J’essaie d’être égal à moi même. Je ne comprends pas les blocages que je trouve devant moi à chaque fois.

Et je m’interroge pourquoi les responsables du Théâtre régional de Constantine (TRC) ne font pas appel à mes services alors que mes travaux au théâtre sont là pour “parler” à ma place. Par le passé, j’ai décroché plusieurs grands prix pour les spectacles produits avec El Belleri comme “le burnous d’or”, “le masque d’or”, “La grappe d’or”, etc.  Je m’interroge sans avoir de réponse. Le théâtre, c’est tout ce que je sais faire.

Je n’ai pas d’autres fonctions. Je n’ai pas de salaire et je n’ai pas de couverture sociale. C’est un problème qui touche d’autres artistes. Les pouvoirs publics doivent trouver des solutions dans les plus brefs délais. Nous sommes en train de mourir en silence. Nous avons eu honte de dévoiler au public nos problèmes et nos difficultés. Notre éducation ne nous permet pas de dire en public : “nous n’avons pas de quoi manger !”. C’est triste (…) Par le passé, Constantine était une plaque tournante du théâtre en Algérie.

Chaque metteur en scène y venait pour tester son spectacle avant de le présenter ailleurs. Nous pouvons contribuer à la relance du mouvement culturel surtout avec la reprise du Printemps théâtral de Constantine. Je dois dire que c’est une ville où les artistes se sentent quelque peu négligés. Et, les citoyens ont l’impression de ne pas être impliqués, comme ce fut le cas lors de la manifestation “Constantine, capitale de la culture arabe 2015”.  Il faut travailler avec le citoyen, rester à ses côtés.

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